<146>Vous voulez savoir le mot du conte? Il ne regarde que moi. Ce conte fut fait l'an 1761, et convenait assez à ma situation, telle qu'elle était alors. J'ai corrigé cet ouvrage depuis la paix, et je vous l'ai envoyé. Je suis si ennuyé de la politique, que je la mets de côté dans mes moments de loisir et d'étude; je laisse cet art conjectural à ceux dont l'imagination aime à s'élancer dans l'immense abîme des probabilités.a

Ce que je sais de l'impératrice de Russie, c'est qu'elle a été sollicitée par les dissidents de leur prêter son assistance, et qu'elle a fait marcher des arguments munis de canons et de baïonnettes, pour convaincre les évêques polonais des droits que ces dissidents prétendent avoir.

Il n'est point réservé aux armes de détruire l'infâme; elle périra par le bras de la vérité et par la séduction de l'intérêt. Si vous voulez que je développe cette idée, voici ce que j'entends :

J'ai remarqué, et d'autres comme moi, que les endroits où il y a le plus de couvents de moines sont ceux où le peuple est le plus aveuglément livré à la superstition; il n'est pas douteux que, si l'on parvient à détruire ces asiles du fanatisme, le peuple ne devienne un peu indifférent et tiède sur ces objets, qui sont actuellement ceux de sa vénération. Il s'agirait donc de détruire les cloîtres, au moins de commencer à diminuer leur nombre. Ce moment est venu, parce que le gouvernement français et celui d'Autriche sont endettés, qu'ils ont épuisé les ressources de l'industrie pour acquitter les dettes, sans y parvenir. L'appât de riches abbayes et de couvents bien rentés est tentant. En leur représentant le mal que les cénobites font à la population de leurs États, ainsi que l'abus du grand nombre de cuculatis qui remplissent leurs provinces, en même temps la facilité de payer en partie leurs dettes en y appliquant les trésors de ces communautés qui n'ont point de successeurs, je crois qu'on les détermi-


a Cet alinéa, omis dans l'édition de Kehl, est tiré des Œuvres posthumes, t. X, p. 43.