<258>Vous devez le connaître mieux que personne. Pour notre poudre à canon, je crois qu'elle a fait plus de mal que de bien, ainsi que l'imprimerie, qui ne vaut que par les bons ouvrages qu'elle répand dans le public. Par malheur ils deviennent de jour en jour plus rares.

Nous avons dans notre voisinage une cherté de blés excessive. J'ai cru que les Suisses n'en manquaient pas, encore moins les Français, dont les ouvrages économiques éclairent nos régions ignorantes sur les premiers besoins de la nature.

Je ne connais point de traités signés à Potsdam ou à Berlin. Je sais qu'il s'en est fait à Pétersbourg.a Ainsi le public, trompé par les gazetiers, fait souvent honneur aux personnes de choses auxquelles elles n'ont pas eu la moindre part. J'ai entendu dire de même que l'impératrice de Russie avait été mécontente de la manière dont le comte Orloff avait conduit la négociation de Fokschani.b Il peut y avoir eu quelque refroidissement, mais je n'ai point appris que la disgrâce fût complète. On ment d'une maison à l'autre; à plus forte raison de faux bruits peuvent-ils se répandre et s'accroître quand ils passent de bouche en bouche depuis Pétersbourg jusqu'à Ferney. Vous savez mieux que personne que le mensonge fait plus de chemin que la vérité.

En attendant, le Grand Turc devient plus docile. Les conférences ont été entamées de nouveau, ce qui me fait croire que la paix se fera. Si le contraire arrive, il est probable que M. Mustapha ne séjournera plus longtemps en Europe. Tout cela dépend d'un nombre de causes secondes, obscures et impénétrables, des insinuations guerrières de certaines cours, du corps des ulémas, du caprice d'un grand vizir, de la morgue des négociateurs; et voilà comme le monde va. Il ne se gouverne que par compère et commère. Quelquefois, quand on a assez de données, on devine l'avenir; souvent on s'y trompe.


a Le 5 août 1772. Voyez t. VI, p. 50.

b Voyez t. VI, p. 52.