<443> se peut-il que ce Voltaire, qui fait l'honneur de la France et de son siècle, soit né dans une patrie assez ingrate pour souffrir qu'on le persécute? Quel découragement pour la race future! Où sera le Français qui voudra désormais vouer ses talents à la gloire d'une nation qui méconnaît les grands hommes qu'elle produit, et qui les punit au lieu de les récompenser?

Le mérite persécuté me touche, et je vole à son secours, fût-ce jusqu'au bout du monde. S'il faut renoncer à revoir l'immortel Voltaire, du moins pourrai-je m'entretenir cet été avec le sage Anaxagore.a Nous philosopherons ensemble; votre nom sera mêlé dans tous nos entretiens, et nous gémirons du triste destin des hommes qui, par faiblesse ou par stupidité, retombent dans le fanatisme.

Deux dominicains qui ont le roi d'Espagne à leurs pieds disposent de tout le royaume; leur faux zèle sanguinaire a rétabli dans toute sa splendeur cette inquisition que M. d'Aranda avait si sagement abolie. Selon que le monde va, les superstitieux l'emportent sur les philosophes, parce que le gros des hommes n'a l'esprit ni cultivé, ni juste, ni géométrique. Le peuple sait qu'avec des présents on apaise ceux qu'on a offensés; il croit qu'il en est de même à l'égard de la Divinité, et que, en lui donnant à flairer la fumée qui s'élève d'un bûcher où l'on brûle un hérétique, c'est un moyen infaillible de lui plaire. Ajoutez à cela des cérémonies, des déclamations de moines, les applaudissements des amis, et la dévotion stupide de la multitude, vous trouverez qu'il n'est pas surprenant que les Espagnols aveuglés aient encore de l'attachement pour ce culte digne des anthropophages.

Les philosophes pouvaient prospérer chez les Grecs et chez les Romains, parce que la religion des gentils n'avait point de dogmes; mais les dogmes de notre infâme gâtent tout. Les auteurs sont obli-


a D'Alembert. Voyez t. XIII, p. 119. Ce philosophe se vit forcé, par des raisons de santé, de renoncer à venir voir le Roi. Voyez, dans la correspondance de Frédéric avec d'Alembert, la lettre de celui-ci, du 30 décembre 1776, et les lettres suivantes.