<45> seule espèce de roman que l'on peut lire; celui-ci est instructif, et prouve mieux que des arguments in barbara, celarent, etc.

Je reçois en même temps cette triste ode, qui est bien corrigée et très-embellie; mais ce n'est qu'un monument, et cela ne rend pas ce qu'on a perdu, et qui mérite d'être à jamais regretté.

Je souhaite que vous ayez bientôt occasion de travailler pour la paix, et je vous promets que je trouverai admirable tout ouvrage fait à cette occasion-là. Il y a bien apparence que nous n'arriverons pas sans carnage à cet heureux jour. Vous croyez qu'on n'a du courage que par honneur; j'ose vous dire qu'il y a plus d'une sorte de courage : celui qui vient du tempérament, qui est admirable pour le commun soldat; celui qui vient de la réflexion, qui convient à l'officier; celui qu'inspire l'amour de la patrie, que tout bon citoyen doit avoir; enfin, celui qui doit son origine au fanatisme de la gloire, que l'on admire dans Alexandre, dans César, dans Charles XII, et dans le grand Condé. Voilà les différents instincts qui conduisent les hommes au danger. Le péril, en soi-même, n'a rien d'attrayant ni d'agréable; mais on ne pense guère au risque quand on est une fois engagé.

Je n'ai pas connu Jules César; cependant je suis très-sûr que, de nuit ou de jour, il ne se serait jamais caché; il était trop généreux pour prétendre exposer ses compagnons sans partager avec eux le péril. On a des exemples même que des généraux, au désespoir de voir une bataille sur le point d'être perdue, se sont fait tuer exprès, pour ne point survivre à leur honte.

Voilà ce que me fournit ma mémoire sur ce courage que vous persiflez. Je vous assure même que j'ai vu exercer de grandes vertus dans les batailles, et qu'on n'y est pas aussi impitoyable que vous le croyez. Je pourrais vous en citer mille exemples; je me borne à un seul.

A la bataille de Rossbach, un officier français, blessé et couché sur la place, demandait à cor et à cri un lavement; voulez-vous bien