<63>songes qu'on débite sur notre compte; mais cela ne trouble en rien ma tranquillité. Je vais mon chemin; je ne fais rien contre la voix intérieure de ma conscience; et je me soucie très-peu de quelle façon mes actions se peignent dans la cervelle d'êtres quelquefois très-peu pensants, à deux pieds, sans plumes.

Puisque vous êtes si bon Prussien (ce dont je me félicite), je crois devoir vous faire part de ce qui se passe ici.

L'homme à toque et à épée papales s'est placé sur les confins de la Saxe et de la Bohême. Je me suis mis vis-à-vis de lui, dans une position avantageuse en tout sens. Nous en sommes à présent à ces coups d'échecs qui préparent la partie. Vous qui jouez si bien ce jeu, vous savez que tout dépend de la manière dont on a entablé. Je ne saurais vous dire à quoi ceci mènera. Les Russes sont pendus au croc. Donna n'a pas dit : Sta, sol, comme Josué de défunte mémoire, mais : Sta, ursus; et l'ours s'est arrêté.

En voilà assez pour votre cours militaire. J'en viens à la fin de votre lettre.

Je sais bien que je vous ai idolâtré tant que je ne vous ai cru ni tracassier, ni méchant; mais vous m'avez joué des tours de tant d'espèces .... N'en parlons plus; je vous ai tout pardonné avec un cœur chrétien.a Après tout, vous m'avez fait plus de plaisir que de mal. Je m'amuse davantage avec vos ouvrages que je ne me ressens de vos égratignures. Si vous n'aviez point de défauts, vous rabaisseriez trop l'espèce humaine, et l'univers aurait raison d'être jaloux et envieux de vos avantages.

A présent on dit : Voltaire est le plus beau génie de tous les siècles; mais du moins je suis plus doux, plus tranquille, plus sociable que lui. Et cela console le vulgaire de votre élévation.

Au moins je vous parle comme ferait votre confesseur. Ne vous en fâchez pas, et tâchez d'ajouter à tous vos avantages les nuances de


a Voyez t. XI, p. 137.