<78>jusqu'à moi. Je sais que l'on vous a fait rendre, à Francfort, mes vers et des babioles;a mais je n'ai ni su ni voulu qu'on touchât à vos effets et à votre argent. Cela étant, vous pouvez le redemander de droit, ce que j'approuverai fort; et Schmidt n'aura sur ce sujet aucune protection à attendre de moi.

Je ne sais quel est ce Bredow dont vous me parlez. Il vous a dit vrai. Le fer et la mort ont fait un ravage affreux parmi nous; et ce qu'il y a de triste, c'est que nous ne sommes pas encore à la fin de la tragédie. Vous pouvez juger facilement de l'effet que d'aussi cruelles secousses font sur moi; je m'enveloppe dans mon stoïcisme le plus que je puis. La chair et le sang se révoltent souvent contre cet empire tyrannique de la raison; mais il faut y céder. Si vous me voyiez, à peine me reconnaîtriez-vous : je suis vieux, cassé, grison, ridé; je perds les dents et la gaîté. Si cela dure, il ne restera de moi-même que la manie de faire des vers, et un attachement inviolable à mes devoirs et au peu d'hommes vertueux que je connais. Ma carrière est difficile, semée de ronces et d'épines. J'ai éprouvé de toutes les sortes de chagrins qui peuvent affliger l'humanité, et je me suis souvent répété ces beaux vers :b

Heureux qui, retiré dans le temple des sages, etc.

Il paraît ici quantité d'ouvrages que l'on vous donne : le Salomon, que vous avez eu la méchanceté de faire brûler par le parlement;c une comédie, La Femme qui a raison;d enfin, une Oraison funèbre de frère Berthier.e Je n'ai à riposter à toutes ces pièces que par celles


a Voyez ci-dessus, p. 28.

b Voyez t. XI, p. 53; t. XVIII, p. 128; et t. XIX, p. 213 et 272.

c Le Précis de l'Ecclésiaste et le Précis du Cantique des cantiques, par Voltaire, avaient été brûlés à Paris le 7 septembre 1759. Voyez ses Œuvres, édit. Beuchot, t. XII, p. 203 et suivantes.

d Voyez t. XI, p. 175.

e Voyez t. XIX, p. 175.