<91> ce règne-ci, les ministres n'ont pas poussé des racines dans leurs places.

Je vous ai envoyé mon Charles XII;a je n'en ai fait tirer que douze exemplaires, que j'ai donnés à mes amis. Il ne m'en est resté aucun. C'est encore de ce genre d'ouvrages qui sont bons dans de petites sociétés, mais qui ne sont pas faits pour le public. Je suis un dilettante en tout genre; je puis dire mon sentiment sur les grands maîtres; je peux vous juger, et avoir mon opinion du mérite de Virgile; mais je ne suis pas fait pour le dire en public, parce que je n'ai pas atteint à la perfection de l'art. Que je me trompe ou non, ma société indulgente relèvera mes bévues, et me pardonnera; il n'en est pas de même du public; il faut être plus circonspect en écrivant pour lui que pour ses amis. Mes ouvrages sont comme ces propos de table où l'on pense tout haut, où l'on parle sans se gêner, et où l'on ne se formalise point d'être contredit.

Lorsque j'ai quelques moments de reste, la démangeaison d'écrire me prend; je ne me refuse pas ce léger plaisir; cela m'amuse, me dissipe, et me rend ensuite plus disposé au travail dont je suis chargé.

Pour vous parler à présent raison, vous devez croire que je n'étais point aussi pressé de la paix qu'on se l'est imaginé en France, et qu'on ne devait point me parler d'un ton d'arbitre. On s'en mordra les doigts, à coup sûr; et pour moi, ou, pour mieux dire, pour les intérêts de l'État que je gouverne, il n'y perdra rien.

Adieu; vivez en paix, que mes vers vous causent un profond sommeil, et vous donnent des rêves agréables. Si au moins vous vouliez m'en marquer les fautes grossières, encore serait-ce quelque chose. Les corrections ne me coûtent rien à présent.

Je vous recommande, monsieur le comte, à la protection de la très-sainte immaculée Vierge, et à celle de monsieur son fils l. p.


a Voyez t. VII, p. IV, et 79-101.