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385. DE VOLTAIRE.

(Ferney) 1er février 1766.

Sire, je vous fais très-tard mes remercîments; mais c'est que j'ai été sur le point de ne vous en faire jamais aucun. Ce rude hiver m'a presque tué; j'étais tout près d'aller trouver Bayle, et de le féliciter d'avoir eu un éditeur qui a encore plus de réputation que lui dans plus d'un genre; il aurait sûrement plaisanté avec moi de ce que V. M. en a usé avec lui comme Jurieu; elle a tronqué l'article David. Je vois bien qu'on a imprimé l'ouvrage sur la seconde édition de Bayle. C'est bien dommage de ne pas rendre à ce David toute la justice qui lui est due; c'était un abominable Juif, lui et ses psaumes. Je connais un roi plus puissant que lui et plus généreux, qui, à mon gré, fait de meilleurs vers. Celui-là ne fait point danser les collines comme des béliers, et les béliers comme des collines.110-a Il ne dit point qu'il faut écraser les petits enfants contre la muraille,110-b au nom du Seigneur; il ne parle point éternellement d'aspics et de basilics. Ce qui me plaît surtout de lui, c'est que dans toutes ses Épîtres il n'y a pas une seule pensée qui ne soit vraie; son imagination ne s'égare point. La justesse est le fond de son esprit; et, en effet, sans justesse il n'y a ni esprit ni talent.

Je prends la liberté de lui envoyer un caillou du Rhin 110-c pour un boisseau de diamants. Voilà les seuls marchés que je puisse faire avec lui.

Les dévotes de Versailles n'ont pas été trop contentes du peu de<111> confiance que j'ai en sainte Geneviève; mais le monarque philosophe prendra mon parti.

Puisque les aventures de Neufchâtel l'ont fait rire, en voici d'autres que je souhaite qui l'amusent. Comme ce sont des affaires graves qui se passent dans ses États, il est juste qu'elles soient portées au tribunal de sa raison.

Il y a en France un nouveau procès tout semblable à celui des Calas;111-a et il paraîtra dans quelque temps un mémoire signé de plusieurs avocats, qui pourra exciter la curiosité et la sensibilité. On verra que nos papistes sont toujours persuadés que les protestants égorgent leurs enfants pour plaire à Dieu. Si S. M. veut avoir ce mémoire, je la supplie de me faire dire par quelle voie je dois l'adresser. J'ignore s'il le faut mettre à la poste, ou le faire partir par les chariots d'Allemagne.


110-a Psaume CXIII, v. 4, selon la Vulgate. (Psaume CXIV, selon la traduction de Luther.)

110-b Psaume CXXXVI, v. 9, selon la Vulgate. (Psaume CXXXVII, selon la traduction de Luther.)

110-c Épître à Henri IV, 1766; Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 244

111-a L'affaire de Sirven.