410. DE VOLTAIRE.

Ferney, 9 décembre 1769.

Quand Thalestris, que le Nord admira,
Rendit visite à ce vainqueur d'Arbèle,
Il lui donna bals, ballets, opéra,
Et fit, de plus, de jolis vers pour elle.

<164>

Tous deux avaient infiniment d'esprit;
C'était, dit-on, plaisir de les entendre;
On avouait que Jupiter ne fit
Des Thalestris que du temps d'Alexandre.

Pausanias, dans ses Prussiaques,164-a dit qu'Alexandre poussait son amour pour les beaux-arts jusqu'à faire des vers dans la langue des Velches, et qu'il mettait toujours dans ses vers un sel peu commun, de l'harmonie, des idées vraies, une grande connaissance des hommes, et qu'il faisait ces vers avec une facilité incroyable, que ceux qu'il fit pour Thalestris étaient pleins de grâce et d'harmonie.

Il ajoute que ses talents étonnaient beaucoup les Macédoniens et les Thraces, qui se connaissaient peu en vers grecs, et qu'ils apprenaient par les autres nations combien leur maître avait d'esprit; car, pour eux, ils ne le connaissaient que comme un brave guerrier, qui savait gouverner comme se battre.

Il y avait, dit Plutarque, dans ce temps-là, un vieux Velche retiré vers les montagnes du Caucase, qui avait été autrefois à la cour d'Alexandre, et qui vivait aussi heureux qu'on pouvait l'être loin du camp du vainqueur d'Arbèles et de Basroc.164-b Ce vieux radoteur disait souvent qu'il était très-fâché de mourir sans avoir fait encore une fois sa cour au héros de la Macédoine.

Sire, je ne doute pas que vous n'ayez dans votre cour des savants qui ont lu Pausanias, Plutarque et Xénophon dans la bibliothèque de votre nouveau palais; ils pourront vous montrer les passages grecs que j'ai l'honneur de vous citer, et V. M. verra que rien n'est plus vrai.

Je donnerais tout le mont Caucase pour voir ce Velche deux jours à la cour d'Alexandre.


164-a Voyez Racine, Les Plaideurs, comédie, acte III, scène III.

164-b Anagramme de Rossbach.