566. DE VOLTAIRE.

(Ferney) 25 novembre 1777.

Grand homme en tout, et sans rival
Depuis Paris jusqu'à la Mecque,
Vous fondez donc un hôpital

<469>

Pour la langue latine et grecque!
Vous placez leur bibliothèque
Vis-à-vis de votre arsenal.
Vous avez passé votre vie
Entre le dieu des grenadiers
Et le dieu de la poésie.
Tous deux, épris de jalousie,
Vous ont accablé de lauriers.
Vous les avez aimés en sage;
Vous les caressez tour à tour;
Et l'on pourra douter un jour
Qui des deux vous plut davantage.

J'apprends, Sire, que M. d'Alembert vous a proposé un des martyrs de la philosophie pour un de vos bibliothécaires. C'est ce Delisle, dont V. M. a entendu parler, qui a été tout près d'être condamné comme Morival par un sanhédrin de barbares imbéciles. Ce Delisle est assez savant pour un bel esprit; il est très-laborieux; il a autant de véritable vertu que les bigots en affectent de fausse. Je le crois très-digne de servir V. M. dans toutes les parties de la littérature; votre vocation est de réparer nos sottises et nos injustices.

J'ai mis aux chariots de poste des exemplaires du Prix de la justice et de l'humanité, pour lequel vous avez contribué si généreusement; ils arriveront quand il plaira à Dieu.

J'ai aujourd'hui quatre-vingt-quatre ans.469-a J'ai plus d'aversion que jamais pour l'extrême-onction et pour ceux qui la donnent. En attendant, je suis à vos pieds, et je vous invoque comme mon consolateur dans cette vie et dans l'autre.

Le vieux malade.


469-a Cette indication est inexacte, et n'a été adoptée ni même remarquée par personne. Voltaire était né le 21 novembre 1694, à Paris même, et non à Châtenay. Voyez Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. I, p. 118 et 315.