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56. A D'ALEMBERT.

22 avril 1769.

Ne pensez pas, mon cher d'Alembert, que les querelles des Sarmates et des autres peuples orientaux troublent ma tranquillité au point de ne pas pouvoir répondre aux lettres des philosophes. Nous cultivons la paix malgré les guerres de la Podolie, malgré celle de Corse, et malgré le trouble que vous autres écervelés de Français excitez en Suède. Nous n'avons rien à craindre de personne, parce que nous sommes amis de tout le monde, et je crois que les frontières gauloises du pays des Velches n'ont rien à appréhender des courses des Tartares et des Cosaques. Voilà donc nos vœux principaux accomplis.

Quant à mon individu, mon cher d'Alembert, je vous dirai ce que le prince Eugène répondit à Garelli, médecin de Charles VI : Mon mal est une coïonnerie qui conduit au tombeau; c'est l'âge, c'est la vieillesse qui mine petit à petit, et qui, consumant nos forces, nous amène dans ce pays où Achille et Thersite, Virgile et Mévius, Newton et Wiberius,a où tous les hommes sont égaux.

Je suis bien aise que vous me rassuriez sur les affaires du ciel, qui sont de votre département; je voudrais que celles de la terre et de la mer allassent également bien. Mais en vivant dans le monde, on apprend à se contenter de peu; et c'est une consolation pour une âme bien née d'être informée, quand tout se bouleverse sur ce petit globe, qu'au moins le ciel va bien. Quant à notre petit tas de boue, vous voyez que les souverains voyagent pour s'instruire. Vous avez joui à Paris de la vision béatifique du roi de Danemark; il est juste que Rome jouisse de celle de l'Empereur, qui vaut un peu mieux que ce roi du Nord. C'est le premier empereur, depuis le temps du Bas-


a Jean-Henri Wieber ou Wiber, auteur des Principia philosophiae antiperipateticae. Ratisbonne, 1707, in-12.