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58. A D'ALEMBERT.

2 juillet 1769.

Vous avez toujours les yeux fixés, mon cher d'Alembert, sur ces théologiens belliqueux qui argumentent en Pologne à grands coups de sabre. Aucune des hordes qui combattent sous eux n'a lu, je vous assure, ni les Institutionsa de Jean Calvin, ni la Somme de saint Thomas. Le ciel va décider entre l'Alcoran et la procession du Saint-Esprit du Père. Je parierais pourtant pour les sectateurs de cette dernière opinion. Tout ce qui s'est passé jusqu'à présent entre ces nations théologiennes doit être considéré comme un prélude de ce qui arrivera lorsque la campagne sera ouverte. Le grand vizir, à la tête des catholiques orthodoxes, va passer le Danube; le prince Galizin, avec ses hérétiques, va s'avancer pour le combattre au passage du Dniester. Cela prépare une belle fête pour le diable; car la Sorbonne et l'enfer, ou l'enfer et la Sorbonne, damnent également mahométans et grecs. Quelle recrue pour le roi de la huaille noire et pour ses adhérents! J'ai tant envoyé de gens dans ce pays-là malgré moi, qu'il m'est bien permis d'être spectateur de ceux que Sa Majesté Impériale de Constantinople et Sa Majesté Impériale de toutes les Russies y feront voyager.

Pour vous autres Français, vous n'y allez pas de main morte en Corse; vous dépeuplez honnêtement cette île; mais le sort de ceux que vous envoyez dans l'autre monde est différent de celui des Russes et des Turcs, car quiconque est tué ayant combattu pour Paoli et pour la liberté de sa patrie est martyr et gibier de paradis. Votre Choiseul a pris cette Corse comme un chat tire les marrons du feu; mais comme il est adroit, il ne se brûlera pas. Il prend du goût, à ce qu'on assure, pour Avignon et pour le comtat Venaissin; il proteste au


a Institution de la religion chrétienne. La première édition est de Bâle, 1535, in-8.