<695> il voyage en compagnie d'un prince de Salm qui est fort aimable, et qui a remporté l'approbation de toutes les cours où il s'est produit. Votre Crillon peut avoir des qualités occultes admirables, mais on le trouve un peu ennuyeux, et il n'y a que les bâilleurs qui s'amusent avec lui. Ce n'est pas moi qui parle; pour avoir vu un homme une fois, on ne décide pas de lui; mais c'est le public qui juge ainsi, et je ne suis que son écho. J'attendrai intrépidement M. Guibert et sa tragédie, tant que le ciel me donnera vie, disposé à applaudir à l'un et à l'autre autant que les élans d'admiration peuvent s'exhaler d'une âme tudesque. Vous le savez, le père Bouhours l'a dit,a que nous avons la forme furieusement enfoncée dans la matière; il faut des secousses fortes pour mettre nos fibres grossières en vibration, et encore, quand nous avons cette perception, elle n'est pas de la vingtième partie aussi forte que les transports, et les extases, et les convulsions qu'éprouve l'âme d'un petit-maître français; son sang est du vin de Champagne mousseux, ses nerfs sont plus fins que des toiles d'araignées, son sensorium est aussi facile à ébranler qu'une girouette au souffle du zéphyr. C'est à de tels juges qu'il faut offrir du beau, de l'élégant, du parfait, et non à des masses à demi animées.

Notre Académie ne doit pas être rangée sous cette catégorie; elle est composée d'étrangers qui ont le droit de penser, et qui peuvent avoir quelques prétentions modestes à l'esprit. Votre M. de la Grange brille par des choses admirables, des a plus b auxquels je n'entends goutte, ni le roi de Sardaigne non plus. Je ne sais si ce dernier se livre à présent à la dévotion transcendante et mystique; au moins, étant encore duc de Savoie, il n'y pensait pas. Je le plains, c'est tout ce que je puis faire; car la grande dévotion ou des transports au cerveau sont, à mon sens, des synonymes, si la dévotion n'est pas pire, car elle reste, et les transports se perdent aussitôt que la fièvre est calmée. Mais pour en revenir à notre Académie, je ne doute pas


a Voyez t. XIV, p. 256, et t. XXIII, p. 216.