118. A D'ALEMBERT.

Le 17 septembre 1772.

Le professeur en rhétorique dont vous venez de faire l'emplette ajoute aux obligations que je vous avais déjà, et contribuera à perfectionner une académie que j'ai beaucoup à cœur, et dont les progrès ont jusqu'ici assez bien répondu à mon attente. Le soin de l'éducation est un objet important que les souverains ne devraient pas négliger, et que j'étends jusqu'aux campagnes. Ce sont les hochets de ma vieillesse,642-a et je renonce en quelque manière à ce beau métier dont M. de Guibert donne de si éloquentes leçons. La guerre demande une jeunesse vive, et ma vieillesse pesante n'y convient plus; d'ailleurs, me conformant aux sentiments de nos maîtres les encyclopédistes, je ne me contente pas de maintenir mon petit domaine en paix, je prêche encore cette paix aux autres. J'espère que le Turc m'en croira, quoique bien d'autres qui se mêlent du métier lui prêchent la guerre. Cependant j'ai encore une péroraison en poche, qui, j'espère, l'emportera sur les phrases des prédicants guerriers. Enfin, vous aurez ce sixième chant des Confédérés, pour qu'il ne vous manque aucune des sottises qui m'ont passé par la tête.

En qualité de prophète, j'annonce la paix, quoiqu'elle ne soit point encore conclue; s'il y avait moins de difficultés à la terminer, le temple de Jérusalem pourrait être réédifié par un des articles.<643> Mais il ne faudrait pas à présent ajouter une condition pareille, qui ne ferait qu'embrouiller les choses; ce pourrait être le sujet d'une négociation particulière; que la Sorbonne cependant n'en ait pas le moindre soupçon, ou vous la verrez épuiser les bourses dévotes, envoyer le plus pur de votre or en Turquie, pour contrecarrer les protecteurs du temple. Enfin ce temple existerait, et les sorbonniqueurs soutiendraient, avec leurs sophismes usités et une noble effronterie, qu'il n'en est rien; tant les prêtres, surtout les docteurs, ont la cervelle dure, et s'opiniâtrent! On les a vus soutenir souvent leurs opinions malgré l'évidence. Vous rirez d'eux, et ils vous anathématiseront; mais riez toujours à bon compte.

Je ne sais si les chevaux de Spa mangent les Russes; mais ce que je sais certainement, c'est que les janissaires ne les mangent pas. J'espère que cette aventure ne sera pas insérée dans l'histoire de votre Académie, dont vous vous acquitterez aussi bien que de toutes les choses dont vous vous êtes chargé jusqu'à présent. Il est sûr que l'Académie ne pouvait pas faire un meilleur choix de secrétaire perpétuel; c'était le seul moyen de faire lire ses Mémoires, depuis que Fontenelle n'y est plus. Je serai un de vos lecteurs, de vos admirateurs, et de ceux qui s'intéressent à tout ce qui concerne votre contentement et votre conservation. Sur ce, etc.


642-a Voyez ci-dessus, p. 436.