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247. A D'ALEMBERT.

Le 13 (23) janvier 1782.

J'ai reçu votre lettre le 7 janvier, et la multitude d'affaires qui m'étaient survenues m'a obligé de différer ma réponse jusqu'à présent, que me voilà de retour dans mon asile philosophique. Ne soupçonnez pas toutefois que le carnaval m'ait distrait par ses attraits. Ces plaisirs ne trouvent plus de prise à mon âge, où l'on est mort au inonde, où les glaces de la vieillesse ont étouffé le feu des premières années, où enfin la végétation a succédé à l'activité de la vie. Dans cette apathie, il est difficile de croire qu'un vieillard puisse ranimer de loin l'ardeur de l'élude et des belles-lettres, d'autant plus que le génie de la nation française s'encourage de lui-même. Les palmiers croissent chez vous comme au bord du Gange; ils ne se conservent chez nous que dans des serres.

Il est sans doute permis à un jeune écolier d'employer l'hyperbole; sans elle il n'existerait aucune louange. Je m'en suis aussi servi quelquefois; c'est pour cela même que j'en tiens peu compte. J'ai fait, dans ma jeunesse, le panégyrique d'un cordonniera que je trouvais le moyen d'élever presque au niveau de cet empereur que Pline célébra si magnifiquement. Ce sont des jeux d'esprit dans lesquels l'imagination s'égaye; elle s'élève si bien au superlatif, que le comble des louanges devient quelquefois le comble du ridicule.

Mais passons des panégyriques aux desseins du César Joseph. Vous saurez sans doute que le pauvre Braschi, pour conjurer les entreprises attentatoires au saint-siége, avait résolu de venir à Vienne, afin de fléchir le César Joseph et de soutenir sur son troupeau tudesque et hongrois la plénitude de la puissance que saint Pierre lui a confiée. A cela Joseph a répondu que le saint-père pouvait venir


a Voyez t. XV, p. IX et X, et p. 99-127.