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150. DE D'ALEMBERT.

Paris, 7 février 1775.



Sire,

Je me prosterne aux pieds de Votre Majesté, et je n'ai point d'expressions pour lui témoigner ma vive et tendre reconnaissance. M. Tassaert vient de me remettre les superbes porcelaines que V. M. m'a fait l'honneur de m'envoyer; j'étais déjà trop content et trop honoré de l'écritoire qu'elle voulut bien me donner il y a quinze ans, le même jour où elle se couvrait de gloire dans les plaines de Liegnitz;a mais V. M. veut sans doute, et en cela elle n'aura point de violence à me faire, que je pense à elle non seulement en écrivant, mais en faisant tous les matins mon déjeuner frugal, que j'accompagnerai d'actions de grâces pour elle, après avoir écrit sur la belle boîte qui renferme ces porcelaines les deux mots si chers à mon cœur : Dedit Fredericus. Mais si je ne puis, Sire, vous exprimer ma sensibilité pour un si beau présent, que pourrais-je vous dire pour peindre toute ma reconnaissance du beau portrait que vous avez eu la bonté d'y joindre? Je le porterai sur moi sans cesse, et la nuit je le mettrai au chevet de mon lit, à l'endroit où les dévots placent leur crucifix et leur bénitier. Je conserve précieusement le portrait que V. M. voulut bien me donner il y a près de douze ans, et qui la représente à la tête de ses armées; celui que je viens de recevoir, Sire, vous représente dans votre cabinet, comme le philosophe le plus aimable et de la physionomie la plus auguste et la plus noble; j'admirerai toujours le premier, et j'adorerai toujours le second. Tous mes amis, à qui j'ai dit combien ce nouveau portrait est ressemblant, lui ont déjà rendu le plus tendre hommage, et veulent en faire faire des copies, pour partager mon plaisir et mon bonheur.


a Voyez t. XXIV, p. 409.