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188. A D'ALEMBERT.

Le 13 août 1777.

Je commence ma lettre par des vers de Chaulieua qui sont une leçon pour les vieillards de notre âge :

Ainsi, sans chagrins, sans noirceurs,
De la fin de mes jours poison lent et funeste.
Je sème encor de quelques fleurs
Le peu de chemin qui me reste.

En pensant ainsi, les nuages de l'esprit se dissipent, et une douce tranquillité succède aux agitations qui nous troublent. Ce n'est pas à moi à prêcher les sages, c'est un poëte philosophe qui leur parle. J'apprends que le comte de Falkenstein a vu des ports, des arsenaux, des vaisseaux, des fabriques, et qu'il n'a point vu Voltaire; ces autres choses se rencontrent partout, et il faut des siècles pour produire un Voltaire. Si j'avais été à la place de l'Empereur, je n'aurais pas passé par Ferney sans entendre le vieux patriarche, pour dire au moins que je l'ai vu et entendu. Je crois, sur certaines anecdotes qui me sont parvenues, qu'une certaine dame Thérèse, très-peu philosophe, a défendu à son fils de voir le patriarche de la tolérance. Ce que l'Empereur a de bon, il le tient de lui-même; c'est son propre fonds, c'est son caractère à lui, qui a perfectionné son éducation. Ce maréchal de Batthyani qui l'a élevé, et que j'ai connu particulièrement, était un digne homme, et capable de donner de bons principes à un jeune prince. Je le répète encore, Helvétius s'est trompé dans son ouvrage de l'Esprit. Il soutient que les hommes naissent à peu près


a Chaulieu dit dans son

Épître à M. le chevalier de Bouillon

(1713) :

Ami, voilà comment, sans chagrin, sans noirceurs
De la fin de nos jours poison lent et funeste, etc.


     Voyez t. XX, p. 80 de notre édition.