<234> c'est un coup de poignard qui me perce le cœur. Je crois qu'il n'y a d'heureux dans le monde que ceux qui n'aiment personne. Je lis le troisième chant de Lucrèce,a et je tâche d'adoucir mes peines; mais tout cela ne me rend point ce qui ne saurait m'être rendu. Je travaille beaucoup pour me distraire, et je trouve que l'ouvrage est ce qui me soulage le plus. Ne craignez rien pour moi, ma chère sœur, je ne suis pas assez bon pour mourir, et ménagez-vous vous-même, pour ne pas mettre le comble à mon affliction.

Je voudrais que le carnaval fût fini, et je roule dans ma tête le moyen de me sauver à Potsdam, où je suis plus à moi-même, et où je puis être mélancolique sans que personne y trouve à redire.

Je vous souhaite de tout mon cœur que vous soyez à l'abri de pareils malheurs, qui, sans contredit, sont les plus grands du monde pour des personnes capables de sentiment. Tous mes vœux se réunissent pour vous, ma chère sœur; ce sont les sentiments avec lesquels je suis jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma chère sœur, etc.

236. A LA MÊME.

(Berlin, 24 janvier 1752.)



Ma très-chère sœur,

Toutes vos lettres redoublent la tendresse que j'ai pour vous; il n'y a qu'une vraie amie qui puisse écrire une lettre comme celle que je viens de recevoir de votre part. Vous entrez dans mes petits chagrins, vous y prenez part, et vous compatissez à ma sensibilité. Il ne s'agit, à la vérité, que d'un chien; mais tout ce que vous m'écrivez


a Voyez t. X, p. 226; t. XIX, p. 49, 75 et 267; t. XXV, p. 62.