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268. A LA MÊME.

Ce 20 (décembre 1753).



Ma très-chère sœur,

Ce m'est toujours une grande consolation pendant votre absence que de recevoir de bonnes nouvelles de votre santé. Je fais mille vœux pour qu'elle s'affermisse de jour en jour, et devienne d'année en année plus stable. Celle que nous allons commencer me sera, selon toutes les apparences, favorable, puisqu'elle me procurera le bonheur de vous revoir. J'ai pris tous mes petits arrangements pour exécuter ce projet, à quoi aucun empêchement ne paraît à présent plus pouvoir porter obstacle. Vous dites, ma chère sœur, que vos jours se ressemblent; je souhaite qu'ils soient toujours tous heureux, et se ressemblent toujours. Vous avez été surprise de la mort de madame de Grapendorf;a il y en a bien d'autres qui en ont été affligés. On devrait s'accoutumer à voir mourir; cependant j'avoue mon grand faible, que ma constance m'abandonne quand cela tombe sur mes amis et sur des personnes que j'ai connues longtemps. Soit faiblesse, soit pusillanimité, je crois qu'il vaut mieux pousser la compassion à l'excès que de pouvoir s'accuser de la moindre dureté, et il me paraît qu'un stoïcien qui n'aime personne ne mérite guère d'être aimé à son tour. La nature ou la Providence ont sagement établi que la société se soutient par des services mutuels, et que la vertu devient le lien des hommes. N'aimer que soi-même, être indifférent au bien et au mal, c'est être un méchant citoyen et une créature rebelle à la nature, qui a voulu nous faire sentir la douleur comme le plaisir, et qui ne nous a pas faits de bronze, mais de chair, pour que nous fussions sensibles. Mais je m'égare étrangement à propos de


a Madame de Grapendorf mourut à Schwedt, pendant un séjour qu'elle y faisait pour assister au mariage du prince Frédéric de Würtemberg.