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308. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 30 novembre 1755.



Ma très-chère sœur,

C'est beaucoup que mes lettres ne vous importunent pas; elles sont si simples et contiennent si peu de matière, que, faute de sujet, je balance souvent à vous écrire. Je suis sûr que les expériences physiques pourront vous amuser pendant cet hiver; cependant il faut avouer que ceux qui les font ont plus besoin d'adresse que de génie; ce sont des charlatans de la philosophie. La plupart de ces expériences ont leur racine dans la chimie, et peuvent étonner pour la première fois ceux qui n'ont aucune idée des mélanges des métaux, de la force de l'air, de la vertu magnétique, ni de tant d'autres phénomènes si connus dans la physique moderne. Je ne sais pas si, après les avoir vues une fois, vous voudrez y retourner, ma chère sœur; mais selon que je connais votre génie, je crois que ces expériences ne lui donneront pas assez de pâture. Vous faites de si beaux éloges de Sans-Souci, que, s'il y avait eu moyen de trouver des melons d'eau, je n'aurais eu rien de plus pressé que de vous les offrir; mais l'année ayant été mauvaise par la trop grande abondance des pluies, les fruits n'ont pu se conserver. J'en suis bien fâché; j'espère, pour l'honneur de Sans-Souci, que l'année prochaine il ne se trouvera pas dans le même cas de disette. La galerie de tableaux que je forme est toute nouvelle; je n'ai rien pris de la galerie de Berlin; cependant j'ai déjà ramassé près de cent tableaux, dont il y a deux Corréges, deux Guides, deux Paul Véronèses, un Tintoret, un Solimène, douze Rubens, onze van Dycks, sans compter les autres maîtres de réputation. Il me faut encore cinquante tableaux; j'en attends d'Italie et de Flandre avec lesquels je crois pouvoir compléter ma galerie. Vous voyez, ma chère sœur, que la philosophie ne bannit pas toujours la folie de la tête des