<324> J'en approche; mais quelle est ma surprise! Une voix sort du fond de cette pyramide, qui m'appelle par mon nom : « Approche, me dit-elle; je suis Virgile. J'étais né pour chanter les héros; les dieux, pour récompenser mon zèle, m'ont transformé en laurier pour couronner le plus grand des mortels, ne pouvant plus le chanter; c'est à toi que cet honneur est réservé. » La voix se tut; je cueillis au plus vite quelques branches de cet arbre merveilleux. A peine en eus-je formé une couronne, qu'il se dessécha. Une inscription lumineuse parut sur la pyramide; elle était en vers, en voici le sens : « Mon ombre quitte pour jamais ce séjour, puisque aucun mortel ne sera plus digne de mes lauriers. »a Mes domestiques ont emballé la boîte où étaient ces précieuses reliques avec plusieurs autres choses que je ne fais que recevoir. Virgile, irrité de mon inexactitude, m'est apparu, en me menaçant de la colère des dieux, si je n'obéissais promptement à ses commandements. Je vous envoie, mon cher frère, cette couronne merveilleuse, qui vous est doublement due, comme dis-


a Le passage qui finit ici rappelle les Vers qui accompagnaient une branche de laurier cueillie (le 30 mai 1755) sur le tombeau de Virgile :
     

Au tombeau de Virgile un immortel laurier
De l'outrage des temps seul a su se défendre,
Toujours vert et toujours entier.
Je voulais le cueillir, et n'osais l'entreprendre;
Prévenant mon effort, je l'ai vu se plier,
Et cette voix s'est fait entendre :
« Approche, auguste sœur du rival d'Alexandre;
Frédéric de ma lyre est le digne héritier;
J'y joins un nouveau don que lui seul peut prétendre.
Déjà son front par Mars fut cinq fois couronné;
Qu'aujourd'hui par ta main il soit encore orné
Du laurier qu'Apollon fit naître de ma cendre. »

Ces vers furent imprimés sans nom d'auteur dans le Mercure de France, en janvier 1756, t. II, p. 20, et réimprimés dans le même journal en septembre 1768, p. 5, comme étant de Voltaire; mais La Condamine les réclama par une lettre insérée dans le tome II, octobre 1768, p. 60-62. C'est pour cela que M. Beuchot n'a pas admis ces vers dans son édition des Œuvres de Voltaire. Voyez cette édition, t. XIV, p. 305. Quant à La Condamine, voyez t. II, p. 39, et ci-dessus, p. 305.