<45> Puisse le ciel vous conserver une longue suite d'années, et vous donner tout ce que votre cœur désire! Puisse-t-il vous combler de ses faveurs les plus flatteuses, et proportionner votre bonheur à vos vertus! Ayez la grâce d'accepter une bagatelle que je prends la liberté de vous offrir, et qui, quoique beaucoup au-dessous de vous être présentée, n'en vient pas d'un cœur qui vous est moins dévoué.

Vous m'ordonnez de vous dire mon sentiment touchant le voyage du Margrave.a J'ai bien lu votre lettre, ma très-chère sœur; mais, si vous voulez que je vous parle avec ma franchise ordinaire, il m'est impossible d'approuver que le Margrave passe à six ou sept lieuesb d'un endroit où le Roi doit se rendre, sans lui venir faire sa cour. A vous dire la vérité, l'on en parle comme d'une grossièreté, et j'avoue que, à mon regret, je suis obligé d'y souscrire. Le Margrave peut réparer la chose; il n'a qu'à, en s'en retournant, passer par Berlin quand le Roi reviendra de Prusse, car j'avoue que je ne m'étonne nullement que le Roi est fâché de son procédé. Je me ressouviens de tout ce que je vous ai écrit; mais je vous l'ai écrit en cas que le Margrave ne vînt pas à faire un voyage où même il traverse le pays du Roi.c C'est montrer trop peu de considération pour un roi, et qui en même temps est son beau-père. Je doute fort que, de tous les avantages que le Margrave pourra avoir du roi de Danemark, s'il en aura jamais de pareils qu'il a reçus du Roi, possédant une femme dont dans tout l'univers il ne trouve pas la semblable.d

J'aurais encore une infinité de choses à ajouter à cette matière, que je passe sous silence, tant par crainte de choquer votre modestie que par appréhension de me rendre importun en me mêlant de choses qui ne sont pas de mon ressort. Je me borne, ma très-chère


a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 246-250.

b A dix ou douze milles. (Variante des Mémoires, édition de Brunswic, t. II, p. 249, et de l'autographe du même ouvrage.)

c Ce dernier point est omis dans les Mémoires.

d Possédant un trésor tel que vous. (Variante des Mémoires, t. II, p. 249.)