20. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Baireuth, 29 septembre 1734.



Mon très-cher frère,

Après avoir été tous ces jours dans de cruelles inquiétudes pour votre chère santé, n'ayant reçu de quatre postes aucune de vos chères nouvelles, j'ai été bien réjouie aujourd'hui en recevant vos deux lettres, qui m'ont mise au comble de la joie par l'assurance que vous me donnez de la continuation de vos bonnes grâces, comme aussi de votre parfaite santé. Je puis vous assurer, mon très-cher frère, que rien ne m'est plus précieux que votre personne, et que votre amitié est la seule chose que j'ambitionne dans ce monde; aussi celle que j'ai pour vous n'est fondée sur aucun principe d'intérêt, mais sur des fondements beaucoup plus relevés, c'est-à-dire, de la plus forte inclination, jointe à un discernement pur qui me porte à re<25>connaître que j'ai le frère du monde le plus accompli. C'est avec ces sentiments et ceux de l'attachement le plus sincère que je vivrais et mourrais heureuse, si je pouvais vous en donner autant de preuves que je le voudrais. Ainsi, mon très-cher frère, vous pouvez bien croire que la grâce que vous me faites de vouloir bien permettre que, en cas de changement, je puisse être auprès de vous, ne saurait m'être que fort agréable, car le plus grand bonheur, selon moi, qu'on puisse avoir dans ce monde est de pouvoir être auprès des personnes qu'on aime aussi tendrement que vous l'êtes de moi. Voici encore une lettre pour vous; comme il n'y a point eu d'ordre de l'envoyer par estafette, je la joins ici. L'on me mande, du 20, que le Roi était beaucoup mieux, et qu'on croyait encore pouvoir le tirer d'affaire; mais il m'écrit de main propre, du 21, qu'il était encore fort mal. A dire la vérité, je ne souhaite pas que vous retourniez encore dans ces conjonctures, car j'appréhende fort sa mauvaise humeur, n'envisageant pas encore sa mort si proche, cette maladie m'ayant plutôt un air de langueur que d'une maladie décisive. La Reine doit être au désespoir; ce sera un furieux coup pour elle, quoique, à dire la vérité, elle en serait plus heureuse. Dans ce moment le courrier vient d'arriver. Dieu veuille que la nouvelle que vous me donnez, mon très-cher frère, de votre arrivée ici soit véritable, et qu'on vous y laissât jusqu'à l'arrivée de la grande époque! Je ferais tout au monde pour vous y faire passer le temps agréablement. Votre palais martial doit être des plus magnifiques. Je souhaite de tout mon cœur qu'il soit un présage de l'âge d'or. Le margrave d'Ansbach et ma sœur sont à Carlsbourg, maison de chasse à quatre lieues d'Erlangen. Ritter y est allé en courrier, pour dire au maître de poste qu'on devait leur envoyer une estafette quand vous passeriez par Erlangen. Je ne sais s'ils veulent vous aller voir là ou ici. Ce serait un bonheur pour ma sœur, qui a grand besoin de bons conseils, et cela, d'une personne pour qui elle a de la considération; car ses brouilleries vont toujours<26> leur train, ce qui justifie madame Rohwedell. Dieu merci, nous sommes tranquilles ici; la belle de ces cantons1_26-a ayant envoyé paître le Margrave et son amour, il tâche de décharger son courroux et son désespoir sur les autres pauvres amants, et les cerfs étant de ce nombre, il fait ce qu'il peut pour les exterminer, et nous laisse, en attendant, champ libre de nous divertir, ce que nous faisons de la bonne façon. Mais voilà une terrible lettre, qui, je crains, lassera bien votre patience; par raison je vais donc y mettre fin, en vous réitérant les assurances de la tendresse et de la considération avec laquelle je serai jusqu'à mon dernier soupir, mon très-cher frère, etc.

Le Margrave se met à vos pieds, charmé aussi bien que moi de pouvoir en peu vous faire la cour. Il a été assez mal d'une grosse fièvre, dont il n'est mieux que depuis quelques jours.


1_26-a Mademoiselle Flore de Sonsfeld, sœur cadette de la gouvernante. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 148 et suivantes, et p. 210.