21. DE LA MÊME.

Le 10 octobre 1734.



Mon très-cher frère,

Après avoir passé le plus heureux temps que j'aie eu en ma vie, il ne me reste plus à présent, mon très-cher frère, que les regrets de votre absence et de la courte durée de mon bonheur.1_26-b Mais comme il n'y a jamais si grand malheur où l'on ne trouve du moins quelque sujet de consolation, la mienne est présentement le souvenir de<27> toutes les grâces et bontés dont vous m'avez comblée pendant votre séjour ici, dont je conserverai le souvenir jusqu'à mon dernier soupir. Aussi mon cœur en est si rempli de reconnaissance et si vivement touché, que jamais je ne pourrai trouver des expressions assez fortes pour mettre au jour ces sentiments, qui sont remplis de la plus forte et plus sincère tendresse pour vous, mon cher frère. Je n'ai pas discontinué à penser à vous, et vous ai cherché tout le jour, mais, par malheur, inutilement. Enfin les mots de cher frère et du charmant Prince royal sont dans la bouche d'un chacun, et la Grumbkow, malgré sa drôle d'humeur, n'a pu venir à bout jusqu'à présent de me faire rire. Je souhaite de tout mon cœur que vous trouviez tout sur un bon pied, et serai inquiète jusqu'à ce que j'en apprenne des nouvelles. L'infante de Cassubie1_27-a vous assure qu'elle se donne à tous les Herdek Teremtetem,1_27-b si elle n'est pas votre très-humble servante. La gouvernante1_27-c a eu un petit accident hier; le petit tonneau lui a paru si appétissant, qu'il lui a pris envie de le vider. Un chacun a voulu s'émerveiller de le faire à votre santé; mais comme la masse qui y entre était copieuse, la bonne dame en a eu un si furieux Rausch, qu'elle n'a pas quitté le lit d'aujourd'hui. Elle se met à vos pieds. Le Margrave en fait de même, aussi bien que moi et toute la petite société, étant avec toute la tendresse imaginable et la plus forte considération, mon très-cher frère, etc.


1_26-b Frédéric, arrivé à Baireuth le 5 octobre, en était reparti le 9. L. c., p. 200-203.

1_27-a Mademoiselle de Grumbkow, dame d'atour de la Margrave, et nièce du feld-maréchal du même nom, que Frédéric appelle souvent cher Cassubien dans les lettres qu'il lui a adressées à partir de l'année 1733. Voyez t. XVI, p. 92 et suivantes. Quant à mademoiselle de Grumbkow, voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 52 et 53, 250 et 251.

1_27-b Ces deux mots, que nous croyons être un jurement hongrois, se trouvent également en tête d'une lettre en allemand adressée par Frédéric à M. de Groben le 17 août 1734.

1_27-c Madame de Sonsfeld.