59. A LA MÊME.

Remusberg, 26 novembre 1738.



Ma très-chère sœur,

Vous prenez une part trop obligeante à ce qui me regarde, pour que je n'en sois pas sensiblement touché; ma santé ne vaut pas assurément, ma très-chère sœur, les soins que vous avez pour sa conservation. J'ai été obligé de me faire saigner par une réplétion de sang assez violente, et qui m'aurait pu être fatale. J'avais lieu d'appréhender quelques suffocations; mais ce qui m'incommodait le plus, c'étaient des insomnies et des battements de cœur insupportables. La saignée m'a fait assez de bien, mais, plus qu'elle, le régime d'eaux auquel je me suis mis. Voilà, ma très-chère sœur, pour ma santé, puisque vous<68> m'en demandez compte; je vous prie de ne vous en plus embarrasser, mais d'avoir plus de soin de la vôtre, qui m'est beaucoup plus précieuse.

Quantz est parti la semaine passée; je l'ai chargé d'une lettre pour vous, ma très-chère sœur; mais comme il s'arrêtera à Dresde, je crains que cette lettre ne vous parviendra pas sitôt.

Je plains, ma chère sœur, que la révolte s'est mise dans votre musique; cette race de gens est très-difficile à conduire; cela demande quelquefois plus de prudence que la conduite des États. Je sais ce qu'en vaut l'aune, et je m'attends dans peu à quelque nouvelle sédition parmi mes enfants d'Euterpe. J'ai lu, pour m'y préparer, la retraite du peuple romain sur le Mont Sacré, et j'étudie l'apologue de Ménénius Agrippa,1_68-a pour m'en servir, si l'occasion le requiert.

Nous comptons de partir dans peu pour Berlin. Dès que j'aurai pris langue, je vous mettrai au fait de tout, trop heureux de pouvoir vous rendre quelques services, tout petits qu'ils sont. Je suis avec un attachement parfait et une tendresse infinie, ma très-chère sœur, etc.


1_68-a Voyez t. VIII, p. 147 et 294; t. IX, p. 17; et t. X, p. 190 et 191.