169. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Potsdam, 16 avril 1746.



Ma chère sœur,

S'il y a eu du refroidissement entre nous, ce n'est assurément pas moi qui ai commencé, et c'est le mariage scandaleux de ces indignes créatures1_161-a qui a le premier jeté la pomme de discorde entre des parents qui se sont toujours tendrement aimés. Depuis, vous avez souffert qu'un faquin de gazetier d'Erlangen me déchirât publiquement deux fois par semaine; au lieu de le punir, on le laissa évader. Depuis, le Margrave eut une partialité marquée pour tout ce qui est autrichien; et enfin, vous avez été vous-même pour faire mille soumissions à ma plus cruelle ennemie, la reine de Hongrie, dans un temps où elle méditait ma perte. Le corps de Grünne1_161-b a passé auprès<162> de Baireuth, et si vous aviez eu encore un reste d'amitié pour une mère respectable et pour votre famille, n'auriez-vous pas écrit un mot d'avertissement sur ce qui se tramait? Mais non, cette créature que je ne puis nommer sans que le sang se tourne dans mon corps, cette Médée fut préférée à tout; et comme elle ne respire que la vengeance, elle vous entraîna dans ses sentiments. Si vous étiez impartiale dans ce moment, vous ne trouveriez point étrange que tant de procédés choquants m'aient refroidi. Tout autre que moi en serait peut-être venu à des éclats; mais je n'ai jamais oublié que vous êtes ma sœur, et que je vous ai tendrement aimée. Je ne me suis plaint de vous à personne. Toute l'Allemagne, qui a été le témoin des injures que vous me faisiez, a été aussi le témoin de la modération dont je ne suis jamais sorti. Ne vous mettez, je vous prie, aucune chimère dans l'esprit sur ce que l'on dit de vous. Ce que je puis vous assurer, c'est que je suis d'une délicatesse extrême là-dessus, et que celui qui voudrait s'expliquer de vous en termes trop peu respectueux serait très-mal reçu.1_162-a Personne ne condamne vos plaisirs; au contraire, on vous en souhaite encore davantage, avec tous les agréments de la vie que vous pouvez désirer. On vous souhaite beaucoup de gens d'esprit et dignes de vous amuser; mais on souhaite en même temps en enfer et à tous les diables de maudites pestes qui vous brouillent avec tous vos parents, et que j'écorcherais sans scrupule, moi qui ne suis point cruel. Enfin, ma chère sœur, on ne vous prend encore ni pour ambitieuse, ni pour intrigante, et ceux qui vous ont donné ces caractères vous les ont prêtés par libéralité; mais à Berlin, personne n'a pensé ainsi. Enfin, après tout, quand vous me poussez à bout, que vous ne me témoignez ni amitié, ni<163> égard, ni la moindre considération, il est bien naturel alors qu'on se refroidisse. On ne peut aimer que ceux qui nous aiment, et les chagrins qui nous viennent de parents chéris sont toujours ceux auxquels nous sommes le plus sensibles. Je ne vous ai point offensée, je n'ai nul reproche à me faire, et malgré tout ce qui s'est passé, je vous aime encore. Je vous prie, ma chère sœur, d'en être persuadée, et qu'il ne tiendra jamais à moi que je ne sois toujours, ma très-chère sœur, etc.


1_161-a Les deux demoiselles de Marwitz, dont l'aînée avait épousé le comte de Burghauss, et la cadette, Caroline, le comte de Schonbourg.

1_161-b Voyez t. III, p. 165-169.

1_162-a La Margrave suivit un tout autre principe. Dans le tome II de ses Mémoires, p. 276 et 277, elle reproduit avec complaisance le portrait fort peu avantageux que Superville lui avait tracé de Frédéric en 1738, et, p. 298, 299, 301, 302 et 303, elle s'exprime avec beaucoup d'aigreur sur le compte de son frère, à qui elle avait pourtant les plus grandes obligations dans ces mêmes années 1738, 1739 et 1740, où elle le critiquait si amèrement. Voyez ci-dessus, p. 73.