186. A LA MÊME.

Potsdam, 7 avril 1747.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu la lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire à mon retour de Berlin, où nous avons célébré les vigiles du jour de naissance de la Reine douairière par un opéra qui a eu tout le succès qu'on peut attendre, tant pour la musique, les voix, les ballets, les dan<179>seurs, les décorations, et la comparsa. Je me flatte, ma très-chère sœur, que votre santé ira mieux à présent, et que la petite Vénus, qui va dans sa quatorzième année, n'aura point souffert d'injure à sa beauté par une maladie qui en fane la fleur. Je crois, comme vous dites, que l'envie a un peu mordu sur Algarotti, et que l'on a grossi ou falsifié des choses qu'il peut avoir dites très-innocemment. Il s'est engagé ici sur le pied de chambellan,1_179-a et j'en suis très-content, car, quant à l'esprit, j'aurais peine, dans toute l'Europe, de trouver mieux que lui. Nous avons aussi fait l'acquisition d'un grand peintre, dont vous connaissez le nom sans doute : c'est Charles Vanloo, qui vient ici pour notre Académie de peinture. Je connais la Naissance de Clinquant1_179-b dont vous avez la bonté de me parler; on attribue cet ouvrage à un jeune avocat dont j'ai oublié le nom. Je ne voudrais point jouir de la santé, si je devais l'acquérir à vos dépens; cette guérison de mon corps se ferait aux dépens du repos de ma vie, et je me soumets avec docilité à ce que le sort ordonne de moi. Cependant cela va mieux à présent, et j'espère d'être tiré d'affaire en grande partie pour cette fois-ci. M. de Ginkel1_179-c est à l'extrémité, et l'on dit qu'il ne saurait en revenir. Ce sera un bon et honnête homme de moins dans le monde. Conserve-moi votre amitié, ma très-chère sœur; soyez persuadée que j'en sens tout le prix, que j'en fais tout le cas imaginable, et que vous éprouverez en moi un retour bien réciproque des sentiments tendres et pleins d'estime avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.


1_179-a Voyez t. XVIII, p. 1, et p. 64, no 41.

1_179-b Satire contre Voltaire, intitulée : La Naissance de Clinquant et de sa fille Mérope, conte allégorique et critique (par Godard d'Aucourt). Paris, 1744, in-12.

1_179-c Le baron Reinhard van Reede de Ginkel, général hollandais, envoyé des Etats généraux à la cour de Berlin, mourut dans cette ville le 23 avril 1747, à l'âge de soixante-dix ans.