228. A LA MÊME.

Ce 22 (janvier 1751).



Ma très-chère sœur,

Votre lettre m'a fait un sensible plaisir; j'y vois la continuation de votre bonne santé et de votre belle humeur. Hier, j'ai vu madame de Kannenberg à la cour, et nous n'avons parlé que de vous. Si les oreilles ne vous ont pas corné, ma chère sœur, ce n'est pas notre faute.

Vous me demandez ce que c'est que le procès de Voltaire avec le juif.1_225-c C'est l'affaire d'un fripon qui veut tromper un filou; il n'est<226> pas permis qu'un homme de l'esprit de Voltaire en fasse un si indigne abus. L'affaire est entre les mains de la justice, et dans quelques jours nous apprendrons par la sentence qui est le plus grand fripon des deux parties. Voltaire s'est emporté, il a sauté au visage du juif; il s'en est fallu de peu qu'il n'ait dit des injures à M. de Cocceji;1_226-a enfin il a tenu la conduite d'un fou. J'attends que cette affaire soit finie pour lui laver la tête et pour voir si, à l'âge de cinquante-six ans, on ne pourra pas le rendre, sinon plus raisonnable, du moins moins fripon.

Notre nouvel opéra1_226-b a réussi au mieux; Carestini, sur le théâtre, est bien supérieur à ce qu'il est dans une chambre; il ne manquait à son triomphe que votre suffrage.

Je vous prie, ma chère sœur, de vous ressouvenir quelquefois du vieux frère, et d'être persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

La Pannwitz1_226-c se marie avec M. de Voss qui a été envoyé en Pologne, ce qui donne lieu à toutes sortes de mouvements à la cour, dont vous pourrez facilement vous faire la représentation.


1_225-c Le procès de Voltaire avec le juif Hirschel a été imprimé dans les Annalen der Gesetzgebung und Rechtsgelehrsamkeit in den Preussischen Staaten, publiées par E.-F. Klein, t. V, p. 215 à 276. Voyez, à ce sujet, la correspondance de Frédéric avec le célèbre poëte, t. XXII de notre édition, p. 294 et suiv., et la lettre de la margrave de Baireuth à Voltaire, du 18 février 1751, Œuvres de ce dernier, édit. Beuchot, t. LV, p. 565. Ce procès suivit immédiatement la querelle que Voltaire eut avec d'Arnaud, et qui fut le principe de l'aigreur dont on trouve tant de traces dans sa correspondance avec le Roi.

1_226-a Voyez t. IV, p. 1-3, et t. IX, p. 33 et 34.

1_226-b Mithridate, musique de Graun, paroles de Villati, d'après Racine.

1_226-c Cette demoiselle, dame d'atour de la Reine-mère depuis 1746, et fille du général-major Wolf-Adolphe de Pannwitz, mort le 30 avril 1750, était depuis longtemps l'objet d'attentions particulières de la part du prince Guillaume. (Voyez l'ouvrage de M. de Hahnke, Elisabeth Christine, p. 105.) Née à Berlin le 11 mars 1729, elle épousa, le 18 mars 1751, le conseiller intime de justice Jean-Ernest de Voss, ancien envoyé extraordinaire de Prusse à la cour de Dresde. Devenue veuve le 26 mai 1793, elle fut nommée, la même année, grande gouvernante de la Princesse royale (la reine Louise). La comtesse de Voss mourut à Berlin le 31 décembre 1814.