309. A LA MÊME.

Le 7 décembre 1755.



Ma très-chère sœur,

Le chasseur m'a rendu votre chère lettre à mon retour de Berlin, où j'ai été rendre mes devoirs à notre chère mère. Elle a eu une fluxion de poitrine; mais, grâce au ciel, tout le danger est passé. Elle est encore un peu faible; cependant de jour en jour elle se remet, de sorte que nous n'avons à présent rien à appréhender. J'en reviens au chasseur, qui m'assure vous avoir laissée en assez bonne santé, ce qui me fait grand plaisir. Vous avez trop de bonté, ma chère sœur, de prêter attention aux bagatelles par lesquelles j'ai pu vous servir, et de recevoir en bonne part et la musique, et mille bagatelles que j'ai pris la liberté de vous offrir. Quant à la poésie, comme la plupart de mes confrères en Apollon se conduisent comme des fous, je tâche de me tenir à l'écart, et j'évite la confrérie, pas assurément à cause que je me crois plus sage qu'eux, mais à cause qu'il ne convient point à un personnage magistral de passer pour fou. C'est par cette raison que je ne confie mes rêveries à personne,1_318-b et<319> que je les cache surtout à mon barbier, crainte d'avoir le sort du roi Midas.1_319-a Mon Dieu, vous vous ressouvenez du Palladion, et vous vous plaignez de votre mémoire! En vérité, ma chère sœur, il n'y a que vous qui puissiez retenir tout; car des sottises pareilles au Palladion ne peuvent entrer que dans un grand tout; cependant, si cela peut vous amuser, j'essayerai, cet hiver, de corriger cet ouvrage informe et rempli de fautes, pour le rendre moins indigne de votre attention. J'ai ici les prémices du carnaval, consistant dans l'évêque de Breslau1_319-b et quelques personnages de la même gravité, qui n'attendent que son ouverture. C'est le prologue de la pièce. Des discussions politiques m'attendent à Berlin vers la fin du mois, qui m'emportent encore assez de temps; c'est autant de perdu pour l'agrément, mais c'est un devoir qui doit passer devant tout. Je vous embrasse de tout mon cœur, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.


1_318-b Voyez t. X, p. 11, et t. XVIII, p. 101, no 86.

1_319-a Voyez t. XXV, p. 552.

1_319-b Le comte de Schaffgotsch. Voyez t. XIX, p. 430, et t. XXV, p. 597 et 598.