<94> comme il était, quelle raison pouvait-il avoir, avec aussi peu de troupes, d'entreprendre un siége et de se battre en même temps? A l'approche de l'ennemi, il fallait, ou abandonner son entreprise, ou laisser un gros corps à la garde de la tranchée. L'un était honteux, l'autre réduisait presque à rien le nombre de ses combattants; le dessein de Charles était donc contraire aux intérêts des Suédois; il donnait beau jeu au Czar, et paraît indigne de notre héros. On n'oserait qu'à peine l'attribuer à un général qui n'aurait jamais fait la guerre avec réflexion. Ne cherchons pas finesse où il n'y en a point, et, sans charger le roi de Suède de desseins auxquels il ne pensa peut-être jamais, souvenons-nous qu'il avait été souvent mal instruit des mouvements de ses ennemis. Il paraît donc plus vraisemblable de croire que, n'étant informé ni de la marche de Menschikoff ni de celle du Czar, il se persuada qu'il n'était point pressé, et qu'il pouvait réduire Poltawa à son aise. Ajoutez à ceci que ce prince avait fait toute sa vie la guerre de campagne, et qu'il était nouveau dans celle des siéges, dont il n'avait pu acquérir l'expérience. Si l'on considère, de plus, que les Suédois passèrent trois mois devant Thorn, dont, soit dit en passant, les ouvrages ne valent guère mieux que ceux de Poltawa, on se convaincra de leur peu d'habileté pour les siéges. Eh quoi! si Mons, si Tournai, si des places fortifiées par les Coehorn et les Vauban arrêtent à peine trois semaines les Français lorsqu'ils les attaquent, si Thorn, si Poltawa tinrent contre les Suédois quelques mois de suite, n'en résulte-t-il pas que ces derniers ignoraient l'art de prendre des forteresses? Aucune ville ne leur résistait quand ils pouvaient la prendre l'épée à la main; la moindre bicoque les arrêtait lorsqu'il fallait ouvrir la tranchée. Et si ce n'en est pas assez de toutes ces preuves, j'ajouterai que, du caractère impétueux et violent dont était Charles XII, il aurait assiégé et pris la ville de Danzig pour la punir de quelques sujets de mécontentement qu'elle lui avait donnés;