<205> libres? Pour manifester votre injustice et votre méchanceté à toute la terre, et pour détourner à votre intérêt un pouvoir qui devait faire le bonheur des citoyens; abominables maximes qui ne manqueraient pas de détruire l'univers, si elles faisaient beaucoup de sectateurs. Tout le monde voit assez combien Machiavel pèche contre la bonne morale : voyons à présent comme il pèche contre le sens et la prudence.

« On doit rendre un État libre, nouvellement conquis, tributaire, en y établissant en autorité un petit nombre de gens qui vous le conservent. » C'est la première maxime du politique, par laquelle un prince ne trouverait jamais aucune sûreté; car il n'est pas apparent qu'une république retenue simplement par le frein de quelque peu de personnes attachées au nouveau souverain lui resterait fidèle. Elle doit naturellement préférer sa liberté à l'esclavage, et se soustraire à la puissance de celui qui l'a rendue tributaire; la révolution ne tarderait donc d'arriver que jusqu'à ce que la première occasion favorable s'en présentât.

« Il n'est point de moyen bien assuré pour conserver un État libre qu'on aura conquis, que de le détruire. » C'est le moyen le plus sûr pour ne point craindre de révolte. Un Anglais eut la démence de se tuer, il y a quelques années, à Londres; on trouva un billet sur sa table, où il justifiait son étrange action, et où il marquait qu'il s'était ôté la vie pour ne jamais devenir malade. Je ne sais si le remède n'était pas pire que le mal. Je ne parle point d'humanité avec un monstre comme Machiavel, ce serait profaner le nom trop respectable d'une vertu qui fait le bien des hommes. Sans tous les secours de la religion et de la morale, on peut confondre Machiavel par lui-même, par cet intérêt, l'âme de son livre, ce dieu de la politique et du crime, le seul dieu qu'il adore.

Vous dites, Machiavel, qu'un prince doit détruire un pays libre nouvellement conquis, pour le posséder plus sûrement; mais répon-