<185>Je les vois sous leur main amasser un volume,
Et de mauvais plaisants devenus plats auteurs,
D'un déluge de vers chargeant leurs éditeurs,
Ils deviendront du jour la fable et la nouvelle;
Tous leurs livres seront une longue querelle,
Écrits injurieux ou fatras insensés,
Tantôt calomniant et tantôt accusés;
Le Parnasse, infecté de leurs injures sales,
Est surpris de parler le langage des halles.a
Voyons un bel esprit d'un coup d'œil différent;
Donnons-lui quelque emploi, certain éclat, un rang;
Qu'on le place à la cour, il en saisit l'usage,
Il intrigue, il cabale, en secret il outrage
Un Mécène en faveur qu'il trouve en son chemin.
S'il est juge, au barreau voyez cet inhumain :
Devant son tribunal la justice est vénale,
Le droit entre ses mains devient un vrai dédale,
L'innocence opprimée élève en vain sa voix,
Le corrupteur l'étouffé, et fait taire les lois.
Que sera-ce, grand Dieu! quel avenir sinistre,
Si le prince aveuglé le prend pour son ministre!
D'abord l'extravagant, Alberonib nouveau,
De la guerre en Europe allume le flambeau;
Il veut se faire un nom, l'extravagant se flatte
De l'immortalité dont jouit Érostrate.
L'honnête homme n'a pas autant de faux brillant;
Mais sûr en son commerce, ami sage et prudent,
Il est toujours égal, discret en chaque affaire;
Simple au sein de la cour, doux, quoique militaire,
Auteur sans arrogance et juge sans erreur,
Il ne s'écarte point des règles de l'honneur.
Dites : à votre gré, lequel est préférable,
Ou cet homme en tout temps modeste, sûr, aimable,
Ou cet esprit bouillant qui pousse en ses écarts,


a

Le Parnasse parla le langage des halles.

Boileau,

L'Art poétique

, ch. I, v. 84.

b Voyez, t. I, p. 162, et t. II, p. 12.