<240>Sous leurs pieds, dans les airs s'élève la poussière.
L'ennemi, qui de loin voit leur troupe guerrière
En replis tortueux couvrir les vastes champs,
Comme aux bords africains ces énormes serpents
Tous armésa et couverts d'une écaille brillante,
A cet aspect terrible il frémit d'épouvante,
Et croit voir devant lui s'avancer le trépas.
Quand vous marchez en ordre et prêt pour les combats,
Afin qu'avec plaisir Bellone vous regarde,
Poussez devant l'armée une forte avant-garde;
Ne l'abandonnez pas, sachez la soutenir,
Ou l'ennemi trop prompt pourrait vous en punir.
Semblable à ce fanal qui précéda Moïse,b
Ce corps vous garantit contre toute surprise.
Il est plus d'un moyen pour transporter les camps;
S'il faut vous ébranler en tournant par vos flancs,
Qu'à la droite ou qu'ailleurs le besoin vous appelle,
Vos deux lignes alors marchent en parallèle.
Le sort peut quelquefois abaisser les vainqueurs :
Condé s'est vu battu, Turenne eut des malheurs.
Alors il faut céder à ce destin contraire,
On peut en reculant tromper son adversaire;
C'est là que l'art du chef doit se faire admirer,
Si sans confusion il sait se retirer.
Son bagage escorté part et prévient sa perte,
Par un corps qui la suit son armée est couverte,
Et tandis qu'il garnit le fier sommet des monts,
Ses guerriers rassurés traversent les vallons;
Ce héros gagne ainsi, sans que son nom s'expose,
Un poste avantageux où sa troupe repose.
En passant les forêts et les monts des Germains,
Varus négligea trop le soin de ses Romains;
Il oublia de l'art les règles salutaires,
Ses camps étaient peu sûrs, ses marches téméraires,
Il guida ses soldats en d'affreux défilés
a Tout armés. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 379.)
b II Moïse, chap. 13, versets 21 et 22.