<IX>

AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Le second volume des poésies de Frédéric contient premièrement les Épîtres familières, les Pièces diverses et les Lettres en vers et prose, qui, composées toutes de 1734 à 1750, constituent le fond du troisième volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Au donjon du château. Avec privilége d'Apollon. MDCCL; il renferme, de plus, le Palladion, qui faisait d'abord partie du premier volume de la même collection.

Il est dit dans l'Avertissement du t. X que le troisième volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci n'a pas été réimprimé par l'Auteur lui-même. Frédéric avait montré ce volume à Voltaire, comme le prouve le billet que ce dernier écrivit à Darget, en date de Sans-Souci, le 9 ou le 10 août 1750 (t. X, p. VI). Mais Voltaire n'y toucha pas; car, deux ans plus tard, lorsqu'on eut achevé d'imprimer les Odes, les Épîtres et l'Art de la guerre, qui formaient le premier volume de la nouvelle édition, le plaisir que le Roi prenait à ce travail fut troublé par la querelle de Voltaire avec Maupertuis, et l'impression ne fut pas continuée. Ce troisième volume n'a donc été ni corrigé par Voltaire, ni reproduit dans une seconde édition. Aussi le Roi ne fit-il pas entrer le troisième volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci dans le recueil publié <X>en 1760 sous le titre de Poésies diverses, quoiqu'il sût que ce volume avait paru en France comme l'autre. En effet, le marquis d'Argens avait écrit au Roi, le 18 mai 1760 : « Vous savez sans doute, Sire, qu'on a imprimé en France et à Francfort le second volume de vos ouvrages, contenant des Épîtres et des Lettres à Voltaire. » C'était du troisième volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, 1750, qu'il voulait parler.

Le Palladion, que nous avons dû ajouter à ce volume de notre édition, est écrit dans le genre de la Pucelle d'Orléans. L'imitation perce dès le premier vers. La Pucelle commence ainsi :

Je ne suis né pour célébrer les saints,

et le Palladion par le vers :

Je ne suis né pour chanter des héros.

Les diverses parties du poëme de Voltaire, composé vers 1730, avaient été successivement communiquées au Roi, à dater de l'année 1742 (voyez ci-dessous, p. 138), bien que l'ouvrage n'ait été livré à l'impression qu'en automne 1755.

Le personnage principal du Palladion est M. Darget, secrétaire du marquis de Valori. Celui-ci, ambassadeur de France à la cour de Berlin, suivit le Roi dans la première et la seconde guerre de Silésie. Dans les premiers jours de septembre 1740, M. de Valori faillit être fait prisonnier, dans un faubourg de Jaromircz, par le lieutenant-colonel Franquini, chef d'un corps de pandours. Le secrétaire eut la présence d'esprit de se faire passer pour l'ambassadeur, qui fut sauvé par cette ruse. Les deux gazettes de Berlin du 11 septembre 1745 racontent l'aventure dans une lettre facétieuse datée du camp de Sémonitz, le 4 septembre. Il en est fait mention aussi dans notre édition des Œuvres de Frédéric le Grand, t. III, p. 145, dans les Mémoires de Valori, t. I, p. 282, et dans la lettre de Frédéric à Voltaire, du 15 juillet 1749, imprimée ci-dessous, p. 158. Cet incident fait tout le nœud du poëme, où le marquis de Valori est représenté comme le palladium des Prussiens, que le prince Charles de Lorraine veut enlever.

Peu de temps après l'aventure qui fait le sujet de cet ouvrage, Claude-Etienne Darget fut nommé secrétaire des commandements du Roi; son brevet est du 18 janvier 1746. Il retourna dans son pays au mois de mars 1752, pour soigner sa santé altérée; en<XI>fin, il demanda son congé, qui lui fut accordé par le Roi le 26 juin 1753. Voyez t. X, p. 238.

Le Palladion fut écrit dans l'hiver de 1748 à 1749; ce temps fait partie des jours heureux et bien rares où le Roi put se consacrer entièrement aux muses et à l'étude. La pièce est datée « Ce 30 de janvier 1749, » et signée « Federic. » Dès le 13 février suivant, le Roi promettait à Voltaire de lui communiquer son ouvrage (voyez ci-dessous, p. 152), dans lequel, sans trop s'inquiéter de la loi de l'ordre, non plus que des dates, il paye un juste tribut d'éloges à son armée et à ses officiers. Il n'est pas sans intérêt de voir, dans l'Épître à mon Esprit (t. X, p. 249), la manière dont l'Auteur parle de cette singulière épopée, où, dit-il à son caustique interlocuteur,

... d'un style mordant blessant toute la terre,
Vous critiquez les deux au mépris du tonnerre,
Et sur Homère même aiguisant vos bons mots,
Vous attirez sur vous l'essaim de ses dévots.

Le Roi avait fait imprimer le Palladion dans le premier volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, mais il le tenait fort secret; quelque temps après, il le supprima entièrement. Ce poëme ne fut publié que dans les Œuvres posthumes de Frédéric le Grand, roi de Prusse. (A Bâle) 1788, t. IV, p. 1-184, probablement d'après une copie livrée par M. Darget fils. Ce quatrième volume des Œuvres posthumes, édition de Bâle, a aussi été imprimé à part sous ce titre : Le Palladion, poëme grave, suivi de quelques pièces fugitives. Gotha, chez C.-G. Ettinger, 1788, quatre cent vingt-sept pages grand in-8.

Les rédacteurs de l'édition de Berlin ont inséré le Palladion dans le Supplément aux Œuvres posthumes de Frédéric II, roi de Prusse. Cologne, 1789, t. I, p. 1-184. Leur texte, qu'ils ont tiré du premier volume des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, de 1750,IV-a est presque entièrement conforme à l'autographe que l'on conserve aux archives royales du Cabinet (Caisse 365, E), et qui avait été écrit en entier par l'Auteur, sur du papier réglé à tranche dorée et de format in-quarto, cent trente-cinq pages.

Comme l'édition de Bâle est d'une rédaction antérieure et moins <XII>parfaite, nous suivons, à défaut de l'édition de 1750, celle de Berlin, corrigée et suppléée d'après l'autographe.

Le morceau intitulé La Palinodie, à Darget, du 10 novembre 1749, a été placé par les éditeurs de Bâle et par ceux de Berlin en tête du Palladion, mais à tort, car ce n'est pas là qu'il se trouve dans le manuscrit original; d'ailleurs, il a aussi bien trait à l'Épître à Darget (t. X, p. 238) qu'au Palladion. Nous avons donc laissé cette pièce à sa place primitive, c'est-à-dire, dans les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. MDCCL, t. III, p. 80, où elle forme la dixième Épître familière. Voyez ci-dessous, p. 64-67.

On trouve la description des vingt-deux gravures appartenant à l'édition originale du Palladion dans (Crayen) Catalogue raisonné de l'œuvre de feu George-Frédéric Schmidt. A Londres, 1789, p. 114-120. Le cabinet royal des Estampes de Berlin a fait, en 1834, l'acquisition d'un exemplaire complet des gravures du Palladion, fort rares aujourd'hui. Cet exemplaire faisait partie de la collection de M. de Nagler.

Après avoir donné les renseignements nécessaires sur le Palladion, nous devons ajouter que le marquis de Valori excita à tel point la curiosité de sa cour au sujet du poëme de Frédéric, que le marquis de Puysieulx eut ordre d'écrire la lettre suivante à l'ambassadeur français à Berlin, dans le but d'obtenir un exemplaire de cet ouvrage pour son souverain : « ... Le Roi (Louis XV) a toujours une extrême envie d'avoir le poëme dont vous nous parlez. Sa Majesté est supérieure aux impressions que pourrait faire tout ouvrage libre dans les matières les plus sérieuses. Elle le tiendra elle-même sous clef. Elle vous recommande de faire tous vos efforts pour l'obtenir. » Cette lettre est datée de Versailles, le 7 mars 1750 (Mémoires de Valori, t. II, p. 314). Mais Frédéric n'osa pas se dessaisir de son ouvrage, et il répondit au marquis de Valori, le 27 du même mois : « Monsieur, j'ai bien reçu votre lettre et la pièce qui y était jointe; vous connaissez tous les sentiments qui me lient au Roi votre maître, et avec combien d'empressement je saisis toujours les occasions de lui témoigner mon attention et la sincérité de mon amitié; vous savez aussi que j'aime véritablement à vous donner des marques de la bonne volonté particulière que j'ai pour vous. Mais je ne puis me prêter à envoyer la badinerie que vous me demandez, et pour laquelle vous avez fait naître une curiosité que <XIII>l'ouvrage ne mérite pas, mais dont l'auteur sent cependant tout le prix. Cette folie, vous le savez, n'a été que l'emploi de mon loisir, l'amusement d'un carnaval, et une espèce de défi que je me suis fait à moi-même; et ce poëme, si c'en est un, se ressent de ma gaieté et du temps où je l'ai composé; j'ai voulu peindre des grotesques; un peu de complaisance, sans doute, vous fait croire que j'y ai réussi. Mais on juge injustement et malheureusement des auteurs par leurs ouvrages, et je craindrais que celui-là ne donnât trop mauvaise opinion de mon imagination; je craindrais que l'on ne me taxât de peu de raison, dont de tout temps on accusa les poètes, et vous m'avouerez que cette crainte n'est pas indifférente, lorsque, par aventure, le poëte se trouve être un souverain. Je sais bien que la prévention obligeante du Roi votre maître doit me garantir de cette terreur, et la confiance parfaite que j'ai dans son amitié et dans la bonté de son caractère me rassure entièrement vis-à-vis de lui-même; mais plus d'un événement peut dérober ce livre de ses mains, et combien ne crieraient pas alors les théologiens, les politiques, les puristes même! Un roi écrire un poëme de six chants, oser fabriquer un ciel, critiquer librement la terre; un Allemand rimer en français! C'est trop à la fois braver de prétendus ridicules, et je ne me sens point la résolution d'affronter aussi ouvertement l'empire des préjugés. Je ne me pardonne cet ouvrage que par le peu de moments que j'y ai donné, et par la persuasion où je suis de n'avoir cherché qu'à m'amuser sans intéresser personne; mais vous conviendrez que l'on sera fort éloigné d'entrer dans tous les motifs de mon indulgence. » (Mémoires de Valori, t. II, p. 309.)

L'abbé Denina, tout en blâmant M. Darget fils d'avoir contribué à la publication d'un ouvrage plein d'une plaisanterie si vive, dit néanmoins dans La Prusse littéraire sous Frédéric II, t. II, p. 80 : « Si l'on convient que Voltaire est plus poëte dans son poëme burlesque que dans le sérieux, il faut avouer aussi que Frédéric II n'est poëte dans aucune de ses compositions autant que dans le Palladium »

Enfin, le marquis de Valori (Mémoires, t. I, p. 282) s'exprime sur le Palladion en termes non moins flatteurs : « Ce poëme, dit-il, est extrêmement plaisant, rempli de la plus vive imagination, et d'autant plus singulier, qu'il a été fait en fort peu de temps. »

<XIV>Nous avons laissé intactes, dans ce volume, plusieurs irrégularités qui ont sans doute échappé au Roi dans le feu de la composition, par exemple : tu chantera mis pour tu chanteras; orfévrie pour orfévrerie; morderont pour mordront; fraguments pour fragments; de subtiles ressorts pour de subtils ressorts; ô mânes généreuses pour ô mânes généreux; bagnaudant pour baguenaudant, etc. Il nous a semblé qu'il valait mieux respecter l'orthographe de l'Auteur, quoique vicieuse, que de gâter la rime et la mesure des vers.

Berlin, le 17 juillet 1849.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.


IV-a Voyez Friedrichs des Zweiten Königs von Preussen bei seinen Lebzeiten gedruckte Werke. Aus dem Französischen übersetzt. Neue verbesserte und vermehrte Auflage. Kölln, 1790, t. V, p. IV.