<162>Que du temps la cruelle injure
Dissout les êtres composés;
Que ce souffle, cette étincelle,
Ce feu vivifiant des corps organisés,
N'est point de nature immortelle.
Il naît avec le corps, s'accroît dans les enfants,
Souffre de la douleur cruelle;
Il s'égare, il s'éclipse, et baisse avec les ans;
Sans doute il périra quand la nuit éternelle
Viendra nous arracher du nombre des vivants .....
Vaincu, persécuté, fugitif dans le monde,
Trahi par des amis pervers,
Je souffre en ma douleur profonde
Plus de maux dans cet univers
Que, dans la fiction de la Fable féconde,
N'en a jamais souffert Prométhée aux enfers.
Ainsi, pour terminer mes peines,
Comme ces malheureux, au fond de leurs cachots,
Las d'un destin cruel, et trompant leurs bourreaux,
D'un noble effort brisent leurs chaînes,
Sans m'embarrasser des moyens,
Je romps mes funestes liens,
Dont la subtile et fine trame
A ce corps rongé de chagrins
Trop longtemps attacha mon âme.
Tu vois dans ce cruel tableau
De mon trépas la juste cause.
Au moins ne pense pas du néant du caveau
Que j'aspire à l'apothéose .....
Mais lorsque le printemps paraissant de nouveau
De son sein abondant t'offre des fleurs écloses,
Chaque fois d'un bouquet de myrtes et de roses
Souviens-toi d'orner mon tombeau.