<190>Que, malgré sa raison, de tous les animaux
L'homme est le plus cruel, le plus dur et féroce.
Non, l'animal n'a point ce caractère atroce,
Et, bien loin de porter un cœur dissimulé,
Son courroux, s'il s'ombrage, est bientôt exhalé;
Mais l'homme étant vengé conserve encor sa haine.
Qui dirait, en voyant cette espèce inhumaine,
Perverse et tant encline à la méchanceté,
Séduite par l'exemple et par l'impunité,
Qu'on y pût rencontrer de ces âmes divines
Qui sans doute du ciel tirent leurs origines,
Des cœurs tendres et doux, justes et bienfaisants,
Amis de l'innocence, ennemis des méchants?
Mais d'un présent si beau, si précieux, si rare,
La main de la nature en tout temps fut avare.
Les dieux auraient-ils donc fait d'une même main
Cet ange que j'honore et ce monstre inhumain?
Je m'arrête, interdit, au bord de cet abîme,
Où se perd en sondant l'esprit le plus sublime;
Il me suffit d'apprendre, hélas! en gémissant,
Combien le cœur humain est perfide et méchant.
Renversons ses autels, combattons l'amour-propre,
Voyons l'homme placé sur un plus grand théâtre :
C'est de là que des grands les folles passions
Éclatent en public aux yeux des nations.
Le bonheur qui jadis accompagna ma vie
Excita contre moi la fureur et l'envie
De rois ambitieux dont les sanglants complots
De l'Europe irritée ont soulevé les flots;
Les désirs effrénés de leur fougueuse ivresse
Prétendent par la force opprimer la faiblesse,
Et dans l'ardente soif qu'ils ont de dominer,
Il n'est rien de sacré qu'ils n'osent profaner.
Dans ces jours de douleur, de désordre et de trouble,
De dangers renaissants que leur longueur redouble,
Le destin qui me guide a semé mes chemins
D'abîmes entr'ouverts sous mes pas incertains :