<3>J'en veux le front paré traverser l'Achéron.
Jusqu'au temps où des morts le nocher me réclame,
Que la sérénité se maintienne en mon âme.
Je renonce au fracas de ces plaisirs fougueux,
Si peu satisfaisants et toujours dangereux;
Vous, molle oisiveté, chansons, douceurs futiles,
Je vous quitte en faveur d'amusements utiles.
Je vis avec les morts; leurs doctes monuments
A d'austères leçons joignent les agréments.
Au coin de mon foyer, tranquille et solitaire,
Je converse avec Lock, Tacite, ou bien Homère;
Si quelque sage vient, je me plais à l'ouïr :
Les talents sont un bien dont l'esprit doit jouir.
Mes organes, flattés des sons de l'harmonie,
Chérissent tous les arts qu'a produits le génie;
J'aime sur le théâtre à voir Sémiramis
Frémir au souvenir de ses crimes commis,
Ou, dans les murs pompeux qu'elle élève à Carthage,
L'amoureuse Didon, dans l'excès de sa rage,
Pour un amant ingrat, mais qui sut la toucher,
Abandonner le trône et courir au bûcher.
Je me plais dans les traits de la vive peinture
Des sentiments qu'en nous a gravés la nature,
Surtout si le poëte a l'excellent secret
De nourrir, d'échauffer, d'accroître l'intérêt,
D'exciter la terreur, d'augmenter mes alarmes,
De m'attendrir au point de répandre des larmes.
Si je n'habite plus cette orageuse cour
Où tant d'illusions environnent l'amour,
Un sentiment plus fin, plus noble et plus solide,
De ce bonheur perdu sait remplacer le vide.
O divine Amitié! présent chéri des deux!
Ce n'est que dans ton temple où vivent les heureux.
J'ai connu le bonheur depuis que dans mon âme
Tu daignas allumer cette pudique flamme;
Ton doux contentement n'est jamais combattu
Par les étroits devoirs qu'impose la vertu.