<42>Peut distraire ou charmer ta sombre hypocondrie,
Je vais légèrement et sans art te croquer
Des traits rendus au vrai, mais non pour t'en moquer;
J'ose espérer que Dieu tout bon me le pardonne.
Je respecte les grands, et, ne nommant personne,
Je brave la Bastille, et je ne m'attends pas
D'habiter des cachots peuplés de scélérats;
Mes traits sont émoussés, ma plume circonspecte
Jamais d'un fiel amer en ses jeux ne s'humecte.
Mais allons droit au fait et contons uniment.
Vois ces rois; ils sont là pour ton amusement :
Tel paraît dans sa cour comme un lourd automate
Exténué d'ennuis, sujet au mal de rate;
Maîtresse, favoris, ministres, courtisans
Lui cherchent des plaisirs, en y perdant leur temps.
Il faut, pour ranimer sa masse léthargique,
Exposer à ses yeux la lanterne magique,
Et lorsqu'à son conseil il se trouve présent,
Il entend sans entendre, et ressort en bâillant.
O fortuné pays! heureuse monarchie!
Conseil de quatre rois, règne de l'anarchie,
Mais toujours, sous la main du bon frère Lourdis,a
Guidé par des fripons ou par des étourdis!
Que voyez-vous là-bas? Un enfant sur le trône,
Tremblant, et redoutant la cour qui l'environne,
Roseau, jouet des vents, qui plie au moindre effort,
Servilement soumis aux lois de son mentor.
Impitoyablement le peuple le ballotte,


a Dans ce Codicille, Frédéric se moque de plusieurs rois, sans s'excepter lui-même. On y reconnaît facilement Louis XV; Joseph-Emmanuel de Portugal, avec le ministre Pombal; Don Carlos III d'Espagne, avec son ministre le comte d'Aranda; Ferdinand IV de Naples, le troisième fils de Don Carlos : Charles-Emmanuel de Sardaigne; Christian VII de Danemark, faisant en 1768 un voyage en Allemagne, dans les Pays-Bas, en Angleterre et en France; Adolphe-Frédéric de Suède; Frédéric II, roi de Prusse, « roi de nouvelle date; » enfin, Stanislas Poniatowski de Pologne.
     Quant à la composition de cette poésie, on doit en fixer la date entre le voyage du roi de Danemark et la mort du roi de Suède, c'est-à-dire, à peu près à l'année 1770.