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AU SIEUR NOËL, MAITRE D'HOTEL.a

Je ne ris point; vraiment, monsieur Noël,
Vos grands talents vous rendront immortel.
Sans doute il est plus d'un moyen de l'être;
Qui dans son art surpasse ses égaux,
Qui s'aplanit des chemins tout nouveaux,
Est dans son genre un habile, un grand maître :
Des cuisiniers vous êtes le héros.
Vous possédez l'exacte connaissance
Des végétaux; et votre expérience,
Assimilant discrètement leurs sucs,
Sait les lier au genre de ses sauces,
Au doux parfum des jasmins et des roses,
Qui font le charme et des rois et des ducs.
Si quelque jour il vous prend fantaisie
D'imaginer un ragoût de momie,
En l'apprêtant de ce goût sûr et fin
Et des extraits produits par la chimie,
L'illusion, le prestige et la faim
Nous rendront tous peut-être anthropophages.


a Tous les cuisiniers du Roi étaient sous la direction de deux maîtres d'hôtel, cuisiniers eux-mêmes. L'un, nommé Joyard (t. X, p. 114), était de Lyon; l'autre, Noël, de Périgueux. Ce dernier était encore en fonctions à la mort du Roi. Voyez l'ouvrage du chevalier de Zimmermann : Ueber Friedrich den Grossen und meine Unterredungen mit ihm kurz vor seinem Tode. Leipzig, 1788, p. 113.