<240>Choiseul.

On n'est pas si brutal en France. Les lois y sont pour le peuple, et non pour les grands. On ne coupe point nos têtes. Mais quel rôle as-tu joué? et pourquoi t'a-t-on traité ainsi?

Struensée.

Je suis le comte de Struensée, et de ces gens qui doivent tout à leur mérite; je suis l'auteur de ma fortune. Je professais la médecine dans le Holstein, lorsque le souverain de l'Islande, de la Norwége, du Holstein et du Danemark vint à Kiel. Il était abîmé de maladies; je l'en guéris heureusement. Je gagnai sa faveur, et plus encore celle de la Reine, qui ne me regarda pas avec des yeux indifférents. Je devins ministre, et je voulus être souverain. Je pensais comme Pompée, je ne voulais point avoir d'égal. Je trouvai le moyen de captiver mon maître, et pour le maintenir dans la sujétion, je l'abrutis à force de lui faire avaler de l'opium en guise de médecine; ensuite la Reine et moi, nous voulûmes nous rendre régents du royaume. Quand on est le second, on veut être le premier. Je me fis un grand parti. Nous étions sur le point de déclarer le monarque inhabile au gouvernement. Inopinément je fus arrêté la nuit, et mis aux fers. Ces Danois, qui ne connaissaient point Machiavel, ne purent sentir ce qu'il y avait de sublime dans ma conduite; et après avoir été vraiment roi, on me trancha la tête. Mais qui êtes-vous, vous qui m'interrogez?

Choiseul.

Je suis le fameux duc de Choiseul, ci-devant roi de France comme vous l'avez été du Danemark. Je fus le seul instrument de ma fortune; mes intrigues m'ont placé près du trône ou sur le trône, comme vous voudrez, où j'ai jeté le plus grand éclat. Je suis l'auteur du fameux pacte de famille par lequel j'engageais l'Espagne à sacrifier sa flotte et une partie de ses possessions de l'Amérique pour avoir l'honneur d'assister la France, aux abois par la guerre qu'elle faisait aux Anglais en Allemagne, battue sur terre et sur mer. Je parvins à faire la meilleure paix possible dans la situation où se trouvait le royaume, et ......