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III. (c) ODE SUR L'AMOUR DE DIEU.

Toi dont la sagesse profonde
Conçut le plan de l'univers,
Toi, qui d'un mot formas le monde,
Qui créas cent mondes divers,
Grand Dieu, si j'adore en silence
De ton ineffable puissance
Tous les inconcevables traits,
Ma voix, que je t'ai consacrée,
Est moins faible et plus assurée
Quand il faut chanter tes bienfaits.

Je jouis de tous les miracles
Que ta main divine a formés;
Ces vastes, ces pompeux spectacles,
Ces feux dans le ciel allumés,
Ces biens que la terre fait naître,
Mes goûts, mon sentiment, mon être,
Tout me parle de tes bontés,
Et mes besoins inépuisables,
De nouvelles félicités.17-a

<16>La raison, ce feu qui m'éclaire
De tes dons les plus précieux,
M'élève au-dessus de la terre,
Me transporte au plus haut des cieux.
C'est elle qui me fait connaître
Ce roi puissant, ce tendre maître,
Ses ouvrages, sa volonté;
Qui m'enseigne à lui rendre hommage,
A l'aimer, à jouir en sage
Du temps et de ma liberté.

Oui, je vois partout la vive image
De tes bontés et de tes soins;
Ce monde est fait pour notre usage,
Il suffit à tous nos besoins.
Tu voulus, nous donnant la vie,
Que, de tes dons toujours remplie,
Toujours digne de son auteur,
Elle dût nous rendre plus chère
La main puissante et salutaire,
La main qui fait notre bonheur.

Sous les plus brillants édifices,
Sans être enivré des grandeurs,
Sans remords au sein des délices,
Sans épines parmi les fleurs,
Assis à table entre des belles,
Tu les fis pour toucher mes sens;
Le vin d'Aï qui m'enchante,
Versé par une main charmante,
Est encore un de tes présents.

Ah! quand mon âme appesantie
Serait l'esclave de mon corps,
Et descendrait anéantie
Dans l'obscur empire des morts,
Grand Dieu, cette âme qui t'adore
<17>Ici te bénirait encore,
Prête à vivre, prête à mourir;
Tu ne me devais point la vie,
Et quand la carrière est finie,
Qui n'est plus ne saurait souffrir.

Mais si mon âme, en sa durée,
D'Atropos trompe le ciseau,
Et si la substance épurée
Survit aux horreurs du tombeau,
Que cet avenir a de charmes!
Je meurs heureux et sans alarmes,
Je vole au sein de l'Éternel.
O Dieu! si mon esprit qui t'aime
Est immortel comme toi-même,
C'est pour un bonheur immortel.

Vous dont le zèle fanatique,
Dont la cruelle absurdité
Nous présente un Dieu tyrannique,
Toujours craint, toujours irrité,
Le crayon de vos mains impies
Peint Dieu comme on peint les Furies.
Monstres, craignez donc son courroux :
S'il est des démons pour nous nuire,
Pour haïr Dieu, pour le maudire,
Il n'en est point d'autres que vous.

(19 avril 1738.)


17-a Le neuvième vers de cette strophe et le sixième vers de la cinquième manquent dans la copie que nous avons reçue de l'Ermitage impérial de Saint-Pétersbourg.