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112. A M. JORDAN.

Selowitz, 3 avril 1742.

Pour aujourd'hui, je n'ai pas à me plaindre de votre bavardage, mais bien de ce que vous parlez beaucoup de l'univers et très-peu de Berlin. Je voudrais que vous me dissiez des nouvelles de ce qui se passe chez vous, parce qu'elles intéressent beaucoup ma curiosité.

Les nouvelles d'ici sont que les Autrichiens font les incendiaires dans leur propre pays; il ne se passe pas de jour qu'ils ne brûlent deux ou trois villages.

La faiblesse et l'envie,
La haine et la fureur
Arma leur main impie
Du flambeau destructeur.
Ainsi la triste Moravie,
De Troie essuyant le destin,
Périt victime de Vulcain.

Vous badinez spirituellement sur la gloire, et fort à votre aise, travaillant cependant avec beaucoup de soin pour votre réputation; et vous voulez que d'autres restent les bras croisés, sans rien faire.

C'est, Jordan, votre bon exemple
Qui m'anime à remplir la carrière d'honneur;
Les lauriers d'Apollon vous ceignent dans ce temple,
Les chênes verts de Mars seraient un salaire ample
Pour votre petit serviteur.

Laissez-moi les chênes, et jouissez des lauriers, et permettez que mon ambition fasse son chemin comme la vôtre dans ces carrières très-différentes. Vous vous servez de l'appât du plaisir pour me conduire de cette aimable voie vers la paix plus aimable encore.

Qui me fait des plaisirs ces peintures naïves?
Quel est cet épicurien
Qui fait voir le souverain bien
Avecque des couleurs si vives?
C'est Jordan le stoïcien.