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136. DE M. JORDAN.

Berlin, 22 mai 1742.



Sire,

Je félicite Votre Majesté de la victoire remportée sur ses ennemis; les Prussiens sont faits pour vaincre, comme les Autrichiens le sont pour être battus. Jamais prince ne fit campagne plus glorieus.

Tirer son bien des mains de l'ennemi,
Deux fois sur lui remporter la victoire,
Et tout cela dans un an et demi,
C'est, ma foi, là le comble de la gloire.

V. M. ne saurait imaginer la joie générale que cela cause à tous ses sujets. Pour moi, quand la nouvelle en est venue, j'ai couru la publier, pour qu'elle se répandît plus tôt; j'ai fait arrêter des personnes dans des voitures pour la leur annoncer, et j'arrêtais les passants pour les engager à participer à ma joie. Je trouvai le Tourbillon dans une joie excessive, qui me décocha, en entrant, ces paroles : Parlez-moi d'un tel roi. Le secrétaire de Bavière, dès qu'il en eut appris la nouvelle, vint courir chez une personne pour en attendre la confirmation. Cette personne, d'un air grave et sérieux, lui dit : Voilà encore une couronne que le roi de Prusse donne à votre maître.

Vous avez l'art de faire un empereur;
Par vos exploits vous savez nous convaincre
Que sous vos lois on parvient au bonheur,
Que vous avez l'art de régner et vaincre.

Que V. M. ne soit point surprise de ce que ma lettre est irrégulièrement composée; la joie s'est emparée de ma raison, et il en est de la joie comme de l'ivresse causée par le vin de Champagne, qui fournit à l'esprit des idées qui amusent. Je crois voir le roi d'Angleterre, qui est mortifié du premier transport de ses troupes, jaloux des succès étonnants de son cher neveu. Les Hollandais ne savent de quel côté se tourner.

On a fait une chanson que l'on chante à Paris, et qui marque bien la légèreté de ce peuple.