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3. A LA MÊME.

Remusberg, 9 novembre 1738.



Madame,

J'ai reçu presque en même temps la lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire, et l'ouvrage instructif et laborieux que vous avez composé sur la nature du feu. Ce ne seront pas des ouvrages sortis de vos mains qui courront le risque de m'ennuyer; ils m'inspireront toujours l'admiration qu'ils méritent. Assurément, madame, sans vouloir vous flatter, je puis vous assurer que je n'aurais pas cru votre sexe, d'ailleurs avantageusement partagé du côté des grâces, capable d'aussi vastes connaissances, de recherches pénibles, de découvertes solides comme celles que renferme votre bel ouvrage. Les dames vous devront ce que la langue italienne devait au Tasse; cette langue, d'ailleurs molle et dépourvue de force, prenait un air mâle et de l'énergie lorsqu'elle était maniée par cet habile poëte. La beauté, qui fait pour l'ordinaire le plus grand mérite des dames, ne pourra être comptée qu'au nombre de vos moindres avantages. Quant à moi, j'ai lieu de me louer du sort, qui, me privant du bonheur d'admirer votre personne, me permet au moins de connaître toute l'étendue de votre esprit.

Mon ouvrage politiquea ne mérite pas toutes les louanges qu'il vous plaît de lui donner. Il n'y a qu'à penser librement pour en faire tout autant; le secret n'est pas bien grand, et je crois, pour peu qu'une personne eût connaissance des affaires de l'Europe, qu'elle en ferait autant, et qu'elle le ferait mieux. Je me sens né avec à peu près les mêmes inclinations que les respectables habitants de Cirey, à cette différence près que ce fruit qui mûrit si bien chez vous ne réussit pas de même chez moi. Je voltige de la métaphysique à la physique, de la morale à la logique, à l'histoire, de la musique à la poésie. Je ne fais qu'effleurer tout, sans réussir en rien. Votre exemple, madame, me servira toujours d'aiguillon pour me faire courir après cette gloire que vous


a Les Considérations sur l'état présent du corps politique de l'Europe. Voyez t. VIII,p. 1-32.