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19. A LA MÊME.

Ce 3 janvier 1763.

En vérité, ma bonne maman, vous êtes bien experte, et je vous félicite de vous connaître si bien en hydropisie. L'aventure qui vient d'arriver est tout ordinaire; il n'y a point de cour, point de couvent même où cela n'arrive. Moi, qui suis fort indulgent pour les faiblesses de notre espèce, je ne lapide point les filles d'honneur qui font des enfants. Elles perpétuent l'espèce, au lieu que ces farouches politiques la détruisent par leurs guerres funestes. On n'est pas toujours maître de soi; on prend une pauvre fille dans un moment de tendresse, on lui dit de si jolies choses, on lui fait un enfant : quel mal y a-t-il à cela? Je vous avoue que j'aime mieux ces tempéraments trop tendres que ces dragons de chasteté qui déchirent leurs semblables, ou ces femmes tracassières, foncièrement méchantes et malfaisantes. Qu'on élève bien cet enfant, qu'on ne prostitue point une famille, et qu'on fasse sans scandale sortir cette pauvre fille de la cour, en ménageant sa réputation autant que possible.

Nous aurons la paix, ma bonne maman, et je me propose bien de rire entre quatre yeux quand j'aurai le plaisir de vous revoir. Adieu, ma bonne maman; je vous embrasse.

Federic.

20. A LA MÊME.

Leipzig, 22 janvier 1763.

Cinquante et un ans, ma bonne maman, ne sont pas une bagatelle. C'est presque toute l'étendue du fuseau de madame Clotho, qui file nos destinées. Je vous rends grâces de ce que vous prenez part à ce que j'en sois là. Vous vous intéressez à un vieil ami, à un serviteur que ni l'âge ni l'absence ne font jamais changer de sentiments, et qui, à présent, espère avec une espèce de