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158. AU MARQUIS D'ARGENS.

Meissen, 1er décembre 1760.

Catt est arrivé, mon cher marquis, et m'a apporté votre lettre. Vous pouvez être persuadé qu'elle m'a beaucoup réjoui en me donnant des espérances de vous revoir. Je vous répondrai, aussi positivement que me le permet l'incertitude des événements qui me dirigent, que je compte me rendre peut-être le 10 à Leipzig, que là j'ai pris une maison, que j'en fais percer une joignante pour que de là vous puissiez venir chez moi sans la moindre incommodité. Quelque intelligence que vous ayez d'ailleurs, je sais la peine que vous avez à diriger votre voyage vous-même; ainsi, pour vous faciliter ce généreux effort que vous voulez faire en ma faveur, je vous enverrai un chasseur pour vous conduire. Il faut que la marquise soit du voyage. Vous pouvez rester sans risque à Leipzig jusqu'au mois de mai,a si vous voulez, et vous me connaissez trop pour supposer que je vous y arrêterai, si votre santé vous rappelle à Berlin. Mais je ne vous réponds pas du temps que je pourrai y passer, à cause que je suis l'esclave des conjonctures, et que je dépends plus de mes ennemis que de moi-même. Je ne veux point épuiser dans ma lettre tout ce que je me propose de vous dire moi-même; je ne veux point flétrir la fleur du plaisir que j'attends de m'entretenir avec vous. Ainsi je réserve tout ce que j'ai sur le cœur pour Leipzig. Adieu, mon cher marquis; je vous écrirai et vous enverrai le chasseur. Ce Mercure aura soin qu'il ne vous arrive aucun accident, et je dirai comme Horace :b

Cher vaisseau qui portes d'Argens sur les bords saxons, etc. Vous savez le reste.


a Le marquis d'Argens quitta Leipzig au mois de mars 1761.

b Odes, livre I, ode 3.