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274. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, octobre 1762.



Sire,

L'on ne peut rien voir de plus naturel et de plus spirituel que les derniers vers que V. M. m'a fait l'honneur de m'envoyer. On dirait que les mânes de Chaulieu et de La Fare sont sortis des champs Élysées pour vous les dicter en commun. Si l'on pouvait gronder les rois, je vous gronderais de tout mon cœur et bien fort pour parler avec tant d'indifférence d'une production charmante que Voltaire mettrait au nombre de ses bonnes pièces fugitives. Je doute qu'il pût peindre aujourd'hui avec tant de force et tant de vérité l'indignation que l'on ressent en lisant l'histoire des forfaits et des impostures que de prétendus ministres de la religion ont perpétués de siècle en siècle, et qu'ils s'efforcent d'augmenter dans celui-ci.

Je crains bien que, quand vous viendrez à lire tout de suite mes dissertations sur Timée, vous ne perdiez le peu de bonne opinion que vous en avez conçue; enfin j'espère que vous me ferez grâce en faveur de la bonne volonté, et que vous pardonnerez à l'ouvrage par rapport au but de l'auteur. J'en ai eu plus d'un en écrivant mon livre, vous vous en apercevrez aisément; mais les deux principaux ont été de détruire la superstition et de venger dans la personne du vertueux Julien tant de rois et de grands hommes outragés par ceux à qui des imbéciles ont donné le nom de Pères; ils étaient véritablement dignes d'être les pères de ceux qui les appelaient ainsi. J'ai cru devoir ensuite montrer le ridicule de cette philosophie platonicienne sur laquelle on a enté certains dogmes du christianisme, dont des tyrans sans foi, tels que Constantin et Clovis, se servirent habilement pour parvenir à leurs desseins et pour s'acquérir un parti qui favorisât leur injuste pouvoir. J'espère que j'ai prouvé tous ces faits évidemment par l'aveu des historiens les plus dévots; c'est, si je ne me trompe, avoir attaqué l'erreur jusque dans son dernier retranchement. J'ai l'honneur, etc.