<389>de Strasbourg à Berlin. Je retournerai par eau jusqu'à Auxonne, à soixante lieues de Strasbourg. A Strasbourg, je descendrai le Rhin jusqu'en Hollande, où je m'embarquerai pour Hambourg; dans le beau temps, c'est un voyage de deux jours. Vous me direz que l'on peut se noyer. Je répondrai à cela que tous ceux qui vont de Hambourg en Angleterre et en Hollande ne se noient pas. V. M. dira, en lisant ma lettre, qu'elle m'avait prédit tout ce qui m'est arrivé. Je conviens qu'elle aura raison; mais, si j'avais à refaire mon voyage, je le ferais encore, parce qu'il était absolument nécessaire, et qu'il fallait assurer une fois pour toutes un état, un sort et une demeure à madame d'Argens après ma mort, que l'âge et la faiblesse de ma santé paraissent rendre assez prochaine.

C'est trop ennuyer V. M. de maladie et de mauvais chemins. J'ai appris à Gottingue que presque tous les anciens ministres, conseillers, etc. hanovriens qui avaient été protégés par le roi défunt ont demandé leur congé et se sont retirés. C'est mylord Bute qui gouverne l'électorat, et tous les habitants de ce pays crient autant que les Anglais contre lui. En arrivant à Strasbourg, j'ai trouvé ce que j'avais jugé qui ne pouvait manquer d'arriver, c'est-à-dire une admiration générale pour V. M. Sans la moindre flatterie, il n'y a là-dessus qu'une seule et unique voix, et les gens sensés m'ont dit que je verrais dans toute la France ce que je voyais à Strasbourg. Je n'en doute pas un seul instant.

Il y a ici deux régiments allemands très-beaux, et le reste de la garnison m'a paru très-passable. Je vois quelquefois de ma fenêtre défiler la garde. Je ne reconnais plus les troupes de mon temps, soit pour la discipline, soit pour la manière dont elles sont entretenues. Si l'on a pendant quelque temps en France des ministres de la guerre qui soient militaires, et qu'on ne fasse pas des connétables en gonille,a ce qui peut arriver d'un moment à l'autre, les troupes en profiteront beaucoup.


a On nommait autrefois gonille la partie du costume des ecclésiastiques catholiques que nous appelons rabat, et il semble que les mots connétables en gonille fassent allusion au comte de Clermont, abbé de Saint-Germain-des-Prés, successeur du duc de Richelieu dans le commandement de l'armée française, et battu à Créfeld par le prince Ferdinand de Brunswic. On chantait à Paris le couplet suivant sur lui :
     

Moitié casque, moitié rabat,
Clermont en vaut bien un autre :
Il prêche comme un soldat.
Et se bat comme un apôtre.

Voyez d'ailleurs t. IV, p. 210-212.