196. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 23 octobre 1761.



Sire,

Je crois que Votre Majesté aura reçu deux lettres que j'ai eu l'honneur de lui écrire depuis le commencement de ce mois, une <259>par la voie du commandant de Glogau, et l'autre par la poste ordinaire. Comme je n'ai aucune nouvelle de V. M., je suis dans une grande inquiétude que sa santé ne soit altérée par les fatigues et par cette mauvaise saison. Les Français ont été chassés et battus devant Brunswic; ils en ont levé le siége, et ont abandonné tout de suite Wolfenbüttel. Cette fuite leur coûte autour de douze cents hommes tués ou prisonniers. C'est ce que vous saurez depuis longtemps. Les Russes marchent en Pologne, du côté de Danzig; ils ont fait une triste figure cette année-ci, et vous les avez peints à merveille dans les deux charmantes pièces que vous m'avez envoyées. Ils étaient réduits à une si grande misère, dans les derniers temps, auprès de Colberg, que leurs Cosaques venaient demander du pain pour l'amour de Dieu à nos postes avancés.

M. de Verelst,290-a qui a eu le malheur de perdre son fils unique, a demandé aux états généraux la permission d'aller en Hollande pour quelques mois. Il m'a prié d'écrire à V. M. qu'il passerait par Magdebourg, pour prendre, par la voie de M. le comte de Finck, les ordres dont elle voudrait le charger. Il serait déjà parti depuis près de trois semaines; mais l'utilité dont il pouvait être à Berlin, s'il était arrivé quelque accident, l'a déterminé à différer son voyage, et il séjournera encore ici jusque vers le temps des quartiers d'hiver. Je ne saurais, lorsque je parle de ce ministre à V. M., lui en dire assez de bien; c'est le plus galant homme qu'il y ait au monde, et chaque moment le rend plus cher et plus respectable aux citoyens de Berlin.

Je souhaiterais pouvoir, dans le temps présent, vous voir plus tranquille; mais je sens bien que la campagne n'est pas encore finie en Silésie, et qu'il n'y aura que la rigueur de la saison qui éloignera les armées. J'en reviens, Sire, à mon refrain ordinaire : conservez votre santé, et tout ira bien à la fin, malgré la fureur et l'acharnement de vos ennemis. Je vous répète ce que j'ai eu l'honneur de vous écrire dans ma dernière lettre : vous n'êtes pas un Dieu, et il fallait l'être pour prévenir l'aventure de Schweidnitz. D'ailleurs, votre campagne est admirable, et l'armée russe est aussi délabrée que si elle avait perdu la plus grande bataille; le reste se réparera, et votre génie m'en est le garant. J'ai l'honneur, etc.


290-a Voyez ci-dessus, p. 222.