208. AU MARQUIS D'ARGENS.

Breslau, 1er janvier 1762.

Je devrais commencer par vous souhaiter la nouvelle année, mon cher marquis; mais j'ai vu si peu accomplir mes vœux, que je commence à n'en plus faire du tout. Je suis bien aise d'apprendre votre convalescence. Votre maladie aurait été une inquiétude de plus pour moi. J'en ai en vérité honnêtement, et plus que je n'en puis porter. Le projet des misérables qui ont voulu m'enlever est très-vrai, et qu'on les a laissés échapper est encore très-certain. C'est un effet de la bêtise de l'officier qui fut chargé de cette commission. Vous n'avez qu'à dire à Gotzkowsky que, tant qu'il ne fera rien contre les lois de l'État, il jouira de ma protection; mais que, s'il lui arrive d'introduire de l'argent infâme dans le pays, et qu'on le lui confisque, il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. L'écolier de Tartini a perdu sa corde, mon cher; comment jouera-t-il?310-a Vous voyez que mes conjectures de l'hiver passé ont été moins trompeuses que les vôtres; avec tout l'esprit que vous avez, vous vous tromperez plutôt dans vos présages sur certains sujets où la routine sert plus que la pénétration. Catt doit aller à Berlin; il partira d'ici le 10 jan<277>vier. Il vous mettra au fait de bien des choses. Il vous montrera une Épître sur l'origine du mal,310-b une ode,310-c la Mort de l'empereur Othon310-d et celle de Caton.310-e Je vous avoue que l'on peut quitter le monde sans regret et même avec joie quand on se trouve dans des situations comme y sont de certaines gens, et lorsqu'on est persuadé de l'inconstance, de la fragilité des objets et des événements que nous désirons, et que l'on a appris à connaître toute la méchanceté et la turpitude de l'esprit humain. Je vous renvoie au Stoïcien, où je me suis assez étendu sur cela, et vous prie, mon cher marquis, de ne point changer de sentiments pour moi cette nouvelle année, et de compter sur mon amitié.


310-a Voyez ci-dessus, p. 294, et t. XII, p. 233.

310-b Épître à M. Mitchell, sur Vorigine du mal, t. XII, p. 224-232.

310-c Ode à ma sœur de Brunswic sur la mort d'un fils tué en 1761, t. XII, p. 33-39.

310-d Voyez t. XII, p. 237-241.

310-e Voyez t. XII, p. 242-245.